[Tribune] Un gouvernement d’union nationale ? 15 buts de guerre pour un véritable bouleversement. Par Claude Nicolet

N.B. Si le terme de « souverainisme  » vient parfois sous la plume, y compris de membres de RM et avec réticence, République Moderne, rappelons-le, n’est pas un mouvement souverainiste.

TRIBUNE/MARIANNE. Ancien conseiller régional Nord-Pas-de-Calais, Claude Nicolet est secrétaire général adjoint de République Moderne. Il faut penser l’impensable, selon le président de la République. Le prendre au mot suggère de fonder un gouvernement d’union nationale et de salut public au service de la souveraineté populaire, estime Claude Nicolet.

Comment ne pas constater le retour fracassant du « souverainisme » sur le devant de la scène politique ? Il revient également au centre des préoccupations des Français qui constatent avec effroi l’ampleur de la désindustrialisation et de notre dépendance vis à vis de l’étranger, notamment sur des produits de première nécessité de dimensions stratégiques et vitales. Ce retour en force, dans des circonstances tragiques, fait apparaître de manière évidente et insoutenable les contradictions inhérentes à 40 ans d’hégémonie idéologique et politique du néolibéralisme, transformant « l’idéal européen » en machine de guerre contre l’Etat providence, les services publics et l’intérêt général.

Près de 40 ans après le tournant de la rigueur de 1983 au nom des enjeux européens, chacun est à même de mesurer aujourd’hui l’ampleur des dégâts. Mais il faut également dire que nous avons, au bas mot, perdu 15 ans. Les Français avaient clairement refusé les orientations politiques qui nous conduisaient à la catastrophe. Faut-il rappeler le NON à hauteur de 55% du référendum sur la Constitution européenne dont le vote a été détourné par une entente au sommet en 2008, entre Nicolas Sarkozy et François Hollande alors premier secrétaire du PS, pour imposer le traité de Lisbonne par voie parlementaire. La crise est donc là et fait apparaître à quel point nous avons perdu en souveraineté et à quel point nous sommes désormais dépendant de l’étranger. Le « souverainisme » fait donc fort logiquement un retour en force et sa nécessité semble devenir une évidence, jusqu’au président de la République qui opère sous nos yeux un revirement spectaculaire. Terminé la « souveraineté européenne » remplacée par « faire de l’Europe un acteur stratégique », place à la reconstruction de notre souveraineté nationale, industrielle, alimentaire, sanitaire, politique. Place à la nécessité de mieux payer celles et ceux qui « tiennent le pays », place à la nécessité de refonder l’Europe dont les politiques risquent de porter les « populistes » au pouvoir. Place à la remise en cause du comportement de l’Allemagne…

Imaginer que la République puisse se mettre en marche

Dans son entretien au Financial Times, Emmanuel Macron est allé jusqu’à dire que nous vivons « un moment de vérité » et que le temps était venu de « penser l’impensable », le moment d’une véritable « union sacrée » et d’un gouvernement de « salut public », perspective déjà contenue dans le fameux discours de Vincennes de Chevènement du 9 septembre 2001, est-il venu ? Lui qui disait, très lucide, à l’issue de l’élection présidentielle de 2002 que son discours et son projet n’était finalement entendable qu’en cas de crise majeure. Nous y sommes. Car aujourd’hui, c’est de la vie et de la mort dont il est question. A ce jour se sont plus de 20 000 de nos concitoyens ont succombé au COVID-19 et à cela s’ajoute désormais une crise économique d’une violence inouïe dont l’ampleur sera colossale. La conjonction de ces deux phénomènes exige des réponses et des décisions sans commune mesure avec tout ce que nous avons connu jusqu’à présent.

Il ne convient plus d’être « et de droite et de gauche » pour imaginer que la République puisse se mettre en marche et occuper un espace politique au sein duquel les partis auraient disparu, laissant augurer une nouvelle structuration entre le « nouveau monde » et le Rassemblement national… Une rente de situation politique en quelque sorte, par temps calme et sans un nuage. Tout cela vole en éclat.

Décomposition

En réalité, LREM n’est pas le début d’une recomposition politique dans notre pays, elle n’est que la poursuite d’une décomposition fondamentalement liée aux choix politiques fait depuis plusieurs décennies, dans la mesure où elle n’est que la synthèse de ces choix.

Aujourd’hui, sans ancrage local, avec un groupe à l’Assemblée nationale qui ne cesse de s’effriter, le président de la République n’est pas en mesure d’affronter l’élection présidentielle alors que la crise du coronavirus a bouleversé l’équation politique.

Je ne suis pas de ceux qui ne verraient qu’un pur opportunisme présidentiel. Il faudrait être d’une particulière mauvaise foi pour ne pas reconnaître que la situation s’est radicalement transformée et il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas le reconnaître. Dès lors, la question d’un gouvernement d’union nationale et de salut public est légitime.

Feuille de route

Je pense qu’il faut fixer une feuille de route qui soit clairement définie. Le président de la République a fait référence au programme du Conseil national de la Résistance (Conseil qui allait des communistes jusqu’à la droite catholique et conservatrice, il faut le rappeler). Il ne peut impunément mobiliser de tels symboles uniquement à des fins de communication politique, voire politicienne. Ce serait parfaitement indigne. Il doit donc aller plus loin dans l’idée qui est la sienne et en faire part aux Français. Car, que nous le voulions ou pas, que ça nous plaise ou non, c’est lui qui est le maître de l’agenda politique et le pays ne pourra se payer le luxe d’attendre plus de deux ans un éventuel changement à la tête de l’État pour la mise en œuvre d’un projet politique différent qui reste à définir.

Sa responsabilité est donc immense. Sera t-il à la hauteur ? Je n’en sais rien. Est-il sincère ? Je n’en sais rien. Est-il prêt à renverser la table ? Je n’en sais rien. Est-il celui par lequel se manifesterait une éventuelle « ruse de l’histoire » chère à Hegel ? Je n’en sais rien. On peut même légitimement penser le contraire, tant il incarne une version « chimiquement pure » des causes qui nous ont menées là où nous sommes mais dont nous nous devons à l’honnêteté de reconnaître que nous ne saurions le tenir pour unique responsable. Les nombreux lits supprimés dans nos hôpitaux, le furent sur une durée d’au moins 20 ans. Belle constance et bel effort dans le désarmement de notre service public de santé pour ne citer que celui-là, hélas.

Alors l’union sacrée et le salut public ? Et bien oui si l’intérêt du pays le commande. Mais fixons nos buts de guerre, puisque nous livrons une guerre, et mettons-nous d’accord sur les objectifs à atteindre, sinon il ne s’agira que d’un théâtre d’ombres supplémentaire qui ne fera que désespérer et exaspérer davantage encore les Français. Pour cela il y faut de la force morale, de la résolution et de la constance dans l’effort qui ne pourra se faire que sur la longue durée.

Nos buts de guerre : quels sont-ils?

1– Rebâtir notre souveraineté nationale et populaire.

2– Procéder à la réindustrialisation de la France et si nécessaire procéder à la nationalisation d’une partie de notre outil de production, y compris bancaire, et recourir à l’emprunt d’Etat auprès des Français afin de « nationaliser » notre dette ?

3– Définir les enjeux et secteurs qui doivent relever de notre souveraineté (agriculture, santé publique, énergie, nouvelles technologies de la communication, outil de défense…)

4– Renouer et rebâtir un État stratège, protecteur, démocratique, social et anticipateur.

5– Bâtir une nouvelle République sociale en allant éventuellement au référendum pour proposer aux Français un nouveau pacte social et républicain.

6– Interroger la nature de la construction européenne et des traités actuellement en vigueur (Traité de Maastricht, de Lisbonne, Règle d’or, multiplication des traités de libre-échange…), s’en affranchir si nécessaire et bâtir des coopérations à « géométrie variable. »

7– Interroger le fonctionnement de la monnaie unique (l’euro) afin que celle-ci soit compatible avec nos intérêts fondamentaux, économiques et sociaux. Passe-t-on de la monnaie unique à la monnaie commune avec une possibilité de fluctuation entre les monnaies en cas de passage à l’euro commun ? Voulons-nous que les États puissent directement emprunter à la Banque Centrale Européenne ? Que fait-on des dettes ? Est-ce que la France souhaite une mutualisation de celles-ci au sein de la zone euro ? Si la réponse est négative, que deviennent-elles et que se passe-t-il pour l’Espagne, l’Italie et éventuellement nous-mêmes. Donc quid d’un véritable budget européen ?

11– Retravailler la relation avec l’Allemagne et surtout la nature de cette relation. Est-ce que nous continuons à suivre une politique qui sert avant tout les intérêts de cette dernière au détriment des nôtres, notamment avec un euro surévalué au regard de notre économie et sous-évalué au regard de l’économie allemande, ce qui crée une distorsion de concurrence insoutenable pour la France et explique en partie la situation dans laquelle nous sommes ?

12– Vouloir faire de l’Union européenne un véritable acteur stratégique sous entend de revoir notre relation avec la Russie (l’Europe de l’Atlantique à l’Oural) et de nouer un véritable dialogue avec Moscou. L’Union européenne ne peut se contenter de devenir une excroissance de l’OTAN alors que Washington regarde désormais ailleurs.

13– Il faut également être en capacité d’interroger notre lien transatlantique, notre relation avec les États-Unis d’Amérique et ce que devient l’OTAN.

14– S’interroger sur place pour la France dans le grand affrontement qui est en cours de structuration entre la Chine et les États Unis d’Amérique.

Voilà quelques-unes des questions et des pistes qui, selon moi, doivent faire l’objet de la feuille de route d’une éventuelle union nationale et qui doivent être au cœur d’un gouvernement de salut public, gouvernement qui devra faire appel à des personnalités qui auront eu le courage dans le passé de faire part de leurs désaccords et de leurs analyses, puisqu’il faut « penser l’impensable », pour reprendre les termes d’Emmanuel Macron, c’est le moment de faire preuve d’audace.

Véritable bouleversement ?

On mesure, à cette simple évocation, le chemin à faire mais il n’est pas interdit d’espérer du sens de l’intérêt et de la conscience nationale des uns et des autres…

Si l’objectif du président de la République est celui-là, c’est peut-être le début d’un véritable bouleversement à la hauteur des enjeux, lui seul est institutionnellement en capacité de le faire. Si ce n’est pas le cas, s’il ne s’agit que d’un replâtrage d’une majorité en perdition pour opérer un recyclage de LREM, alors non. Trois fois non et la France et les Français iront de mal en pis et ils seront impitoyables.

Claude Nicolet