[Entretien] « La République est en danger pour des raisons diverses » J-P Chevènement

ENTRETIEN. Jean-Pierre Chevènement était l’invité du « 8h30 franceinfo » sur franceinfo:. Il répondait aux questions de Matteu Maestracci et Jean-Jérôme Bertolus, le dimanche 4 octobre 2020.

  • Matteu Maestracci : Bienvenu à toutes et à tous dans le 8h30 France Info. Bonjour Jean-Jérôme Bertolus, chef du Service politique de France Info. 

    Jean-Jérôme Bertolus : Bonjour. 

    Matteu Maestracci : Notre invité ce matin est ancien ministre, de l’Intérieur notamment, président de la Fondation Islam de France jusqu’en 2018. Il publie ses mémoires sous le titre : Qui veut risquer sa vie la sauvera, chez Robert Laffont. Bonjour Jean-Pierre Chevènement. 

    Jean-Pierre Chevènement : Bonjour. 
  • Matteu Maestracci : Merci d’être là. Merci d’avoir répondu à l’invitation de France Info. On va revenir, dans un premier temps, sur les mesures proposées par Emmanuel Macron aux Mureaux avant-hier pour lutter contre ce qu’il appelle le « séparatisme islamiste ». Mesures qui se traduiront par un projet de loi présenté au conseil des ministres le 9 décembre. Je vous propose d’abord de l’écouter. (Enregistrement) Alors Jean-Pierre Chevènement, pardon pour cette question d’emblée assez forte mais… La République est en danger aujourd’hui ? 

    Jean-Pierre Chevènement : La République est en danger pour des raisons diverses. Elle est d’abord en danger parce qu’il n’y en a plus de républicains. En tout cas il n’y en a plus suffisamment. Et peu de gens comprennent réellement l’exigence républicaine, c’est-à-dire que de la souveraineté du peuple découle le citoyen. Mais pas n’importe quel citoyen, pas un individu quelconque : un citoyen formé par l’école laïque, capable de débattre avec les autres citoyens du meilleur intérêt général à la lumière de la raison, à la lumière d’arguments qui se discutent et pas à la lumière de dogmes qu’on veut imposer. C’est cela, la laïcité que Jean Macé, fondateur de la Ligue de l’enseignement, définissait comme un « combat contre l’ignorance ». Eh bien je reprends cette définition. Et nous avons besoin de cet esprit républicain, de cet esprit laïque, naturellement ouvert puisque la laïcité est tolérance des religions, mais les religions se situent sur le plan de la transcendance. Et sur le plan de l’espace commun laïque, nous voulons entendre des arguments raisonnés et pas des proclamations de foi qu’on voudrait imposer à autrui.
  • Jean-Jérôme Bertolus : Jean-Pierre Chevènement, vous dites que la République est en danger, il n’y a plus de républicains… Alors oui, vous avez fait, vous-même, de la République, de la laïcité, votre combat, le combat d’une vie, à travers différentes responsabilités. Vous vous êtes souvent entretenu avec le Président de la République, précisément de la question de la laïcité. Le Président répond aux exigences que vous formulez ? Par rapport à ce qu’est un leader républicain ? 

    Jean-Pierre Chevènement : Je me suis souvent entretenu avec le Président de la République, il a lui-même évolué, il ne le cache pas et c’est une bonne chose, c’est-à-dire qu’il s’approprie le sujet. D’ailleurs il cible l’islamisme radical, c’est l’adversaire, ce n’est pas les musulmans, il ne faut pas qu’il y ait d’amalgame. Les musulmans ont le droit de pratiquer leur culte et c’est pour les soustraire à cette influence perverse de l’islamisme radical que des mesures ont été définies, traduites par une loi, qu’il faudra appliquer, ça ne sera pas facile. Parce que si on prend deux sujets, par exemple la scolarisation à trois ans ou bien encore la formation des Imams en France, ce sont beaucoup de difficultés en perspective qui demanderont ténacité, volonté politique. Je crois que le Président de la République a cette volonté. Maintenant il faut le soutenir parce que, pour reprendre l’exemple de la scolarité à trois ans, on va vous imposer… 
  • Jean-Jérôme Bertolus : Vous approuvez cette mesure donc ? 

    Jean-Pierre Chevenement : C’est la mesure, à mon avis, la plus intéressante. Scolarisation, dès l’âge de 3 ans. 

    Jean-Jérôme Bertolus : Même si cela concerne quelques milliers d’enfants : cinquante mille, mais bon… 

    Jean-Pierre Chevènement : Alors cinquante mille enfants scolarisés à domicile. Alors ceux qui le sont pour des raisons de santé, ça se comprend, mais pour les autres je pense que c’est une règle à laquelle il faudra déroger. Mais je vous rappelle que le principe de liberté de l’enseignement est considéré comme ayant une valeur constitutionnelle. C’est une jurisprudence, elle peut évoluer, mais il faudra que le conseil d’État d’abord, le Conseil constitutionnel ensuite, et puis la Cour européenne des droits de l’homme enfin, acceptent de voir cette jurisprudence évoluer. Sinon, il faudra que le dernier mot reste au Parlement. Et il faut que cette volonté là soit bien inscrite dans nos têtes, si nous voulons avoir gain de cause sur ce sujet. 
  • Jean-Jérôme Bertolus : On vient de le comprendre, vous le soulignez ce matin, qu’il peut y avoir des difficultés d’application juridique compte tenu des principes constitutionnels. Un petit mot quand même : vous dites effectivement que le Président de la République a pris bien soin de viser l’islamisme radical et pas tous les musulmans. Dans votre livre, dans vos mémoires, vous dites qu’il ne faut pas être naïf et notamment sur la question de l’immigration, en disant qu’il y a des populations qui ne veulent pas s’intégrer. Est-ce que vous faites le lien entre islamisme radical et immigration ? Est-ce que vous trouvez que, sur la question de l’immigration, finalement, la France est trop laxiste ? 

    Jean-Pierre Chevènement : Je pense qu’il y a un détournement du droit d’asile qui est manifeste, tout le monde demande l’asile. Mais l’asile était, à l’origine, réservé aux combattants de la liberté, donc il faut avoir une interprétation un peu plus stricte du droit d’asile. Je ne vois pas pourquoi nous donnerions le droit d’asile à des Albanais ou a des Géorgiens qui sont des États de droits…. 

    Jean-Jérôme Bertolus : Mais ce n’est pas le cas Monsieur Chevènement. On ne donne pas l’asile à des Albanais ou à des Géorgiens, vous le savez très bien. Ils demandent l’asile mais on ne leur donne pas. 

    Jean-Pierre Chevènement : Ils demandent l’asile, alors on ne leur donne pas, il y a un très long délai d’attente, ils sont dans un premier temps déboutés du droit d’asile, ils ont le droit de séjourner sur le territoire national et quand il s’agit de les raccompagner dans leur pays c’est très difficile parce que très souvent leur pays ne les veut pas. Alors, j’ai pris ces deux exemples parce qu’ils sont manifestes mais, naturellement, le fait de demander la nationalité française ou même la résidence sur le territoire de la République implique qu’on respecte les lois de la République. C’est le moins. Donc la République est la grande boussole. C’est à juste titre que le Président Macron fait appel à un vrai réveil républicain parce que cela seul nous permettra de tenir la France a des principes, qui sont des principes de la République, qui sont des principes d’ouverture, de liberté et de générosité, mais il ne faut pas que ces principes soient foulés au pied. Donc, nous devons les faire respecter. 

    (…) 
  • Matteu Maestracci : Si vous me le permettez un mot sur les territoires… il s’agit aujourd’hui de combattre l’islamisme radical, qu’on présente comme une cause, mais il peut être parfois une conséquence, une conséquence de l’abandon de certains quartiers, de certaines poches de la société. Est-ce que les gouvernements qui ont précédé, Jean-Pierre Chevènement, la droite et la gauche, sont responsables (ou en partie) de cet abandon de certains quartiers qui peut parfois favoriser le fait que des gens se tournent vers l’islamisme radical ? 

    Jean-Pierre Chevènement : Alors il faut éviter une repentance systématique parce que, à l’origine, les banlieues (les quartier HLM comme on disait) étaient réservées souvent aux ouvriers qualifiés, aux techniciens, et, j’ai bien connu ça comme maire de Belfort, à des gens qui travaillaient dans les usines : à Alstom, chez Peugeot, etc., mais qui n’avaient pas de problème de vivre ensemble. Et c’est progressivement qu’on a envoyé vers ces quartiers les personnes en difficulté, que les difficultés se sont cumulées et que ces quartiers sont devenus des quartiers de concentration d’une certaine misère, n’exagérons pas, car il y a un système d’allocations et différentes aides sociales, dont témoigne l’importance du budget de notre système social… 

    Jean-Jérôme Bertolus : Mais la misère est une réalité tout de même… 

    Jean-Pierre Chevènement : Mais la misère est cependant une réalité. Mais, la vraie solution serait de remédier au chômage de masse qui touche particulièrement ces jeunes qui vivent dans ces quartiers. Et puis des dispositifs comme l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine) qui ont fait la preuve de leur efficacité, je l’ai moi-même utilisée. On peut changer complètement l’aspect d’une ville. Mais évitons de penser que les problèmes seraient faciles à résoudre. Je pense que le volet social du plan Macron, si je puis dire, mérite d’être musclé mais il le sera… 

    Jean-Jérôme Bertolus : Musclé parce que la question sociale est un peu absente du discours du Président de la République prononcé vendredi aux Mureaux. 

    Jean-Pierre Chevènement : Elle n’est pas absente puisqu’il évoque lui-même la ghettoïsation urbaine. 

    Jean-Jérôme Bertolus : Oui, mais il n’apporte pas de réponses. Certains disent aujourd’hui « la chasse aux islamismes radicaux », c’est un peu, justement, pour masquer l’absence de stratégie de l’État dans ces ghettos que ce soit en termes de répression ou en termes d’égalité des chances… 

    Jean-Pierre Chevènement : On ne peut pas tout confondre. Sinon, si on donne une excuse absolutoire aux islamistes parce qu’ils seraient issus des quartiers en difficultés, ça ne va pas…

    Jean-Jérôme Bertolus : Il faut être ferme… 

    Jean-Pierre Chevènement : il y a quand même une liberté qui existe et par conséquent, ces jeunes qui se laissent tenter par le djihadisme terroriste sont quand même responsables de leurs actes. 
  • Jean-Jérôme Bertolus : Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, n’a pas toujours été tendre d’ailleurs avec vous, notamment lorsque vous avez été nommé à la tête des œuvres de l’islam. Il avait parlé d’une nomination « colonialiste », « paternaliste » par l’ancien chef de l’État François Hollande… 

    Jean-Pierre Chevènement : Qui montre qu’il ne comprenait pas encore toute la difficulté du sujet. D’abord parce que cette fondation est une fondation laïque, une fondation culturelle et non pas cultuelle. Je ne voulais pas m’occuper des affaires de l’islam. Je voulais simplement former à la République, par exemple les imams ou les cadres religieux, les cadres associatifs. Leur expliquer à travers les diplômes du ministère de l’Intérieur et de l’université, un diplôme intitulé « Laïcité, République, religion », ce que sont les lois de la République. Car on ne peut pas faire respecter les lois de la République à des gens qui ne la connaissent pas. Il faut les instruire. 
  • Jean-Jérôme Bertolus : Gérald Darmanin a donc, selon vous, évolué, tellement évolué que ce matin, dans le JDD, il dit que le projet de lois qui va être tireé des propos du chef de l’État vendredi, qui arrivera au conseil des ministres le 9 décembre, est un projet de loi de gauche, un projet de loi laïque. La laïcité est fondamentalement une valeur de gauche ? 

    Jean-Pierre Chevènement : La laïcité définit le rapport de l’État avec les religions, il ne les reconnaît pas. Mais par expérience, en tant qu’ancien ministre de l’Intérieur, je peux vous dire que s’il ne les reconnaît pas, il les connaît néanmoins, parce qu’il a des relations constantes avec l’épiscopat, le grand Rabbin, le consistoire, la fédération protestante… Pourquoi cela ? Parce qu’avant 1905, avant la loi, qui est la loi de référence pour ce qui concerne la laïcité, toutes ces religions avaient soit un concordat soit des accords passés avec les pouvoirs publics. Napoléon y avait veillé… les deux Napoléon d’ailleurs. Mais l’islam n’existait pas sur le territoire français en 1905. Il s’est créé progressivement et surtout après la Seconde Guerre mondiale. Donc, il n’y a pas eu d’organisation du culte musulman, il n’y a pas d’instance représentative, c’est la raison pour laquelle… 

    Jean-Jérôme Bertolus : Il y a quand même le Conseil Français du culte musulman… 

    Jean-Pierre Chevènement : Que Monsieur Sarkozy a été obligé de créer… 

    Jean-Jérôme Bertolus : Qui n’était pas représentatif ? C’est une question… 

    Jean-Pierre Chevènement : Je n’ai pas dit qu’il n’est pas représentatif. Il devrait être élu. Je constate qu’actuellement c’est une présidence tournante, entre trois pays qui sont le Maroc, l’Algérie et la Turquie. Ce n’est pas la définition d’une autorité religieuse. C’est une décision que les responsables du CFCM ont prise eux mêmes. Je pense qu’il aurait fallu en rester au principe des élections qui était initialement retenu… Le président actuel du CFCM, Monsieur Moussaoui, est un homme tout à fait respectable. 
  • Jean-Jérôme Bertolus : Quand vous étiez ministre de l’Intérieur, vous avez mené une première consultation, c’était en 1999, pour tenter précisément d’organiser « l’islam de France », l’islam en France… ça fait plus de 20 ans. Vendredi, le sénat a chargé le CFCM de former les futurs imams de mettre fin à ce qu’on appelle les « imams consulaires » qui sont payés par ces trois pays, effectivement, et qui viennent en France, dont certains ne parlent pas le français. Est-ce que vous pensez que c’est d’avance un échec ? Finalement, ça fait vingt ans qu’on tente d’organiser l’islam en France. 

    Jean-Pierre Chevènement : Il ne faut pas mélanger tous les problèmes. Il y a vingt ans j’avais identifié le problème, j’avais invité les musulmans à se concerter. Point final. C’est quatre ans après, en 2003, que Monsieur Sarkozy a créé le CFCM, en imposant un président, qui était Monsieur Boubakeur, Recteur de la Mosquée de Paris, d’obédience plutôt algérienne disons. Maintenant le système est différent et on peut demander au CFCM, quand nous saurons à qui nous avons à faire, de labelliser les cursus, de faire en sorte qu’il y a une certification des imams qui auront rempli ce cursus et que les associations qui gèrent les lieux de culte ne recrutent que des imams certifiés. Se posera aussi le problème de la rémunération des imams, ce qui implique que, naturellement, on aille peut-être plus loin que la taxation du pèlerinage… 

    Jean-Jérôme Bertolus : La taxation de la viande hallal, vous y serez favorable ? 

    Jean-Pierre Chevènement : Moi, pour ma part, c’est mon avis personnel, j’y serais favorable, parce que ça serait la seule manière de donner au culte musulman des ressources à hauteur suffisante. 
  • Matteu Maestracci : Il y a des faits d’actualité qui convoquent régulièrement cette notion de laïcité et ce n’est pas simplement que symbolique, ce sont les affaires de voile. Il y en a eu dans les années 80, avec Creil 90, 2000, 2010… maintenant nous sommes dans les années 2020 et cela continue. Est-ce que cela veut dire que nous sommes toujours au même point ? Ou, est-ce que au contraire les lois qui ont été votées, élaborées au fil du temps, font aussi qu’on avance dans ces questions ? Encore l’autre jour, Emmanuel Macron a parlé des mamans voilées lors des sorties scolaires. Lui n’est pas contre, le ministre de l’Éducation disait autre chose. Donc, on n’est pas vraiment sorti de la polémique du voile finalement. 

    Jean-Pierre Chevènement : Je pense que l’affaire du voile se posait dans les écoles. En 1989, le ministre de l’Éducation à l’époque avait décidé que c’était finalement le chef de l’établissement qui décidait… 

    Jean-Jérôme Bertolus : Et vous l’aviez regretté ? 

    Jean-Pierre Chevènement : Dix ans plus tard, il y a eu une loi qui a interdit les signes ostentatoires d’appartenance religieuse. Le voile, mais aussi la kippa, la grande croix, etc. Il a fallu dix ans pour qu’on arrive à une loi mais seulement dans l’espace scolaire, qui est l’espace de formation du citoyen. En dehors de l’école, cette loi ne s’applique pas. 

    Jean-Jérôme Bertolus : Oui, mais pour aller dans la question de Matteu Maesttracci, quand une vice-présidente de l’UNEF est auditionnée à l’Assemblée nationale et vient voilée, c’est son droit, et vous, sur le fond, ça ne vous choque pas ? 

    Jean-Pierre Chevènement : Si, ça me choque personnellement, comme ancien militant de l’UNEF. J’ai milité à l’UNEF à l’époque de la guerre d’Algérie et je ne reconnais plus mon UNEF. C’est-à-dire que quand je vois la vice-présidente qui vient voilée, qui vient manifester ses opinions à l’Assemblée nationale, je trouve ça un peu choquant, mais c’est mon avis. 
  • Matteu Maestracci : (…) Vous avez été aussi, entre autres, ministre de l’Éducation. Est-ce qu’il y a un angle mort peut-être avec la question de formation des professeurs ? Toujours sur cette notion de la laïcité : écoutez ce qu’on disait sur France Info cette semaine, avec Jean-Pierre Obin, ancien inspecteur de l’éducation nationale, auteur du livre Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école. (Enregistrement) Des enseignements pour beaucoup de mauvaise qualité sur la laïcité… Est-ce qu’il y a, selon vous, des professeurs peut-être pas assez formés sur ces questions ? Est-ce que certains peuvent s’auto-censurer d’une certaine manière notamment dans les zones d’éducation prioritaire ? Sur cette question-là ? 

    Jean-Pierre Chevènement : Je ne pense pas qu’ils doivent s’auto-censurer, parce que la République doit avoir un langage clair, à travers les professeurs et notamment à travers les professeurs des écoles, même dans ces quartiers difficiles. Mais ce que dit Monsieur Obin est très juste, c’est qu’à partir du moment où on a confié la formation des maîtres aux universités qui ne connaissent pas les difficultés concrètes que représente une classe de très jeunes élèves, et bien on en finit par regretter le temps des écoles normales. Il y avait une formation spécialisée, une formation diversifiée de philosophie, de droit et en même temps de conduite de la classe. Donc ceci nous amène à réfléchir à l’autorité de rattachement des écoles de formation des professeurs des écoles. Ne faudrait-il pas que ce soit le ministre de l’Éducation lui-même qui veille à la formation de ces professeurs, plutôt que des universités où naturellement la finalité de la formation finit par se perdre ? 
  • Jean-Jérôme Bertolus : En janvier 1998, vous avez eu un mot qui avait fait florès, vous étiez ministre de l’Intérieur et vous dites face au caméra : « mais laissez la police s’occuper des jeunes sauvageons ! », plutôt que de s’occuper , effectivement, de l’évacuation des usines. Double question : est-ce que vous partagez la crainte du ministère de l’Intérieur actuel, du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, de « l’ensauvagement » d’une partie de la société ? Et deuxième question : est-ce que vous ne regrettez pas que le ministère de l’Intérieur soit aujourd’hui simplement le « ministère des Faits divers », plus celui des relations avec les collectivités locales, moins en quelque sorte un ministère de pleine autorité sur différents sujets de l’État ? 

    Jean-Pierre Chevènement : Le ministère de l’Intérieur est celui de la sécurité, de la police et de la gendarmerie maintenant. C’est le ministère des collectivités locales, cela l’était, puisque maintenant il ne l’est plus… mais ça reste le ministère des cultes et celui de l’État, à travers les préfets, à travers les préfectures, donc c’est très important. 

    Jean-Jérôme Bertolus : On a surtout l’impression, encore une fois, d’un ministère des Faits divers, c’est-à-dire que dès qu’il y a un problème, le ministre de l’Intérieur arrive sur le terrain (…). 

    Jean-Pierre Chevènement : Il appartient au ministre de l’Intérieur de mettre en place des structures, des formations qui permettent à la police de remplir ses tâches. J’avais créé la police de proximité qui a été abolie par mon successeur, Nicolas Sarkozy. Mais ça allait dans le sens d’un rapport différent entre la police et la population. J’ai toujours mis l’accent sur la citoyenneté comme étant la matrice de la sécurité. Et pour revenir sur ce que vous me disiez, je ne pense pas que Monsieur Darmanin soir le « ministre des Faits divers ». On le voit à l’occasion de certains faits divers souvent tragiques parce que sa présence est nécessaire, mais il doit réfléchir en amont à tous les problèmes que pose la cohésion d’une société française fracturée. Et dans mon livre j’explique bien comment à travers toutes sortes de dispositions, notamment les communautés d’agglomération, j’ai cherché à remédier à cet apartheid social que dénonce aujourd’hui le Président de la République. 
  • Jean-Jérôme Bertolus : Toute autre question : dans votre livre, vous parlez des Verts à l’époque, vous les traitiez quasiment d’obscurantistes. Aujourd’hui vous regrettez que à gauche, au Parti socialiste, finalement on réfléchisse et on tente d’avoir une candidature commune en 2022 socialiste et écologiste et peut-être portée par un écologiste, dès le premier tour ? 

    Jean-Pierre Chevènement : A mon avis, cette candidature ne peut déboucher à terme que sur un échec, pour une raison très simple, c’est que les présupposés philosophiques des uns et des autres sont radicalement opposés. Les socialistes, qu’ils le veuillent ou non, sont les héritiers de la philosophie des Lumières qui croit à l’Homme, qui croit au progrès. Les écologistes tels qu’ils se sont développés d’abord en Allemagne, après la Seconde Guerre mondiale, puis en France, sont les héritiers d’une philosophie qui est celle de la catastrophe à l’horizon. Hans Jonas, leur maître à penser, a parlé de « l’heuristique de la peur », c’est la peur qu’il faut faire régner pour nous dissuader d’utiliser des techniques qui pourraient se retourner contre l’homme. Donc c’est une technophobie qui imprègne l’atmosphère. C’est une atmosphère qui est de plus en plus tracassière, une réglementation même ressentie comme punitive et je pense qu’il y a là les germes d’un conflit qu’on n’a pas encore vu se développer et qui est à mon avis inévitable.