Le cahier de la Rencontre N°3 « Comment réindustrialiser la France ? »
« Comment réindustrialiser la France ? »
25 mai 2016
Débat en présence de :
Jean-Pierre Chevènement, président de République Moderne
Jean-Michel Quatrepoint, journaliste économique
Louis Gallois, président du conseil de surveillance de PSA
Thierry Breton, ancien ministre
Arnaud Montebourg, ancien ministre de l’économie
Jean-François Dehecq, co-fondateur de Sanofi, vice-président du Conseil national de l’industrie
Jean-Pierre Chevènement
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Nous allons ouvrir cette séance. Jean-Michel Quatrepoint, journaliste économique, et moi-même lancerons les débats. Puis nous donnerons la parole à nos grands invités, que je veux remercier.
- Jean-François Dehecq, co-fondateur de Sanofi, vice-président du Conseil national de l’industrie
- Arnaud Montebourg, ancien ministre du Redressement productif
- Louis Gallois, qui a été le patron des chemins de fer, de l’Aérospatiale, Haut-commissaire à l’investissement, actuellement président du conseil de surveillance de PSA et auteur du fameux « Rapport Gallois »
- Thierry Breton, ancien ministre de l’économie et des Finances et de l’Industrie, président d’ATOS (l’un des plus grands acteurs des services du numérique au niveau mondial qui compte 100 000 ingénieurs et développe les supercalculateurs exascale).
J’avais fondé Le club République Moderne en 1983, pensant que la gauche allait faire sa conversion républicaine, c’est-à-dire se définir par rapport à l’intérêt général, au bien public, à l’intérêt national… toutes choses qui paraissent aujourd’hui de vieilles lunes.
Comment réindustrialiser la France ?
À cette question il faut apporter une réponse parce que la désindustrialisation est en France plus profonde que chez ses grands partenaires européens (on pourrait discuter de la Grande-Bretagne). Les tableaux annexés au Rapport Gallois fin 2012 montrent qu’en France, en termes de valeur ajoutée dans le PIB, l’industrie manufacturière était passée d’un peu plus de 20 % au début des années 1980 à 10 % en 2011, chiffre qui s’est vraisemblablement aggravé. Dans le même temps, le pourcentage de l’industrie manufacturière dans le PIB allemand était passé de 26,2 % à 22 %, soit une érosion beaucoup plus lente (et en poids spécifique, exprimé en milliards d’euros, la production manufacturière allemande, c’est trois fois plus que la production manufacturière française). Nos partenaires ont mieux que nous su défendre leur tissu industriel : Poids de l’histoire, de ce qu’on appelle Mittelstand en Allemagne (mais qui existe aussi en Italie), intrication avec des banques régionales et locales, plus grande cohésion sociale grâce à la cogestion en Allemagne et dans d’autres pays.
On observe qu’en France le CAC 40 a souvent maltraité sa sous-traitance, s’est internationalisé, privilégiant le développement à l’étranger. Ce n’était pas toujours vrai. Il y a une quinzaine d’années, M. Dehecque, qui dirigeait Sanofi, m’expliquait qu’il concentrait 80 % de ses laboratoires en France même si la France ne représentait que 12 % de son marché
Pourquoi cette situation ?
À mon avis, trois choix gouvernementaux majeurs ont été des choix erronés :
Première erreur : le choix de la monnaie forte en 1979, maintenu en 1983. Même les auteurs du livre « Le décrochage industriel »[1], M. Cohen et M Buigues, qui ne pensent pas forcément comme moi, le reconnaissent. Au départ, l’inflation était beaucoup plus forte en France que dans les pays voisins, notamment en Allemagne. M. Otto von Lambsdorff, le ministre de l’économie allemand me disait alors : « Avec 28 milliards d’excédent, le système monétaire européen est un système de subvention à l’industrie allemande » (et en 2015, l’excédent commercial allemand atteignait 248 milliards d’euros… !). Cet aspect est très important pour expliquer notre déclin industriel car la compétitivité d’une économie dépend aussi mais pas seulement du cours de sa monnaie. Après la réunification – et toujours dans la perspective de la monnaie unique parce que rien ne s’explique autrement – le franc a collé au mark, la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Espagne ont dévalué en 1992 et nous sommes arrivés en 1999 avec des choix de parité sans doute discutables.
La deuxième erreur majeure a été l’abandon de « l’État stratège » au nom du principe de concurrence imposé par l’Acte unique et administré par la Commission européenne. « L’idée de transférer le colbertisme hightech au niveau européen se heurtait à l’ordo-libéralisme allemand et au libéralisme anglais. », écrivent MM Cohen et Buigues. Cela veut dire que nous abandonnions notre propre modèle dans les années 1984-85. Ce que dit ce livre de l’échec des initiatives prises par le Président Chirac et le gouvernement de l’époque est également très intéressant : Les pôles de compétitivité, l’Agence de l’innovation industrielle… un certain nombre de tentatives faites dans les années 1996-97 se sont heurtées à l’opposition de la Commission européenne. Et au moment où le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) a été mis en œuvre (non pas en application du Rapport Gallois, qui préconisait autre chose), il n’a pas été possible de le cibler sur les entreprises industrielles : en vertu d’un principe d’indiscrimination générale pour toutes les entreprises, nous subventionnons également les banques, la grande distribution, toutes choses qui n’ont pas grand-chose à voir avec la politique industrielle.
Je passe sur l’affaire Alstom au début des années 2000 où M. Monti a imposé à Alstom de se séparer des chantiers de l’Atlantique.
La troisième erreur commise après 1990 fut de ne tirer aucune conséquence de l’entrée en vigueur de la monnaie unique, ni sur la fiscalité, ni sur l’assiette des cotisations sociales, ni sur la politique salariale. De sorte que de fortes divergences de compétitivité-coût se sont creusées. Sur la décennie 1999-2008, l’Allemagne voir ses coûts salariaux croître de 1,2 % par an, la France de 2,8 %, soit un différentiel de 1,6 % par an (15 points de compétitivité en moins au bout de la période). En 2009-2015, cela évolue un peu différemment : l’Allemagne est à 2,6, la France à 2. Donc la France rattrape un peu plus de 3 points de compétitivité. Il faut ajouter 6 points au titre du CICE, ce qui fait que l’écart de compétitivité a été aujourd’hui réduit environ à 6 par rapport à 1999 (je cite des chiffres publiés par France Stratégie[2]).
Par rapport au dollar, la dévaluation de l’euro est manifeste. Mais si on regarde le taux de change effectif nominal de l’ensemble des monnaies, la zone euro est à moins 4 % par rapport au panier de monnaies avec lesquelles elle commerce, la France seulement à moins 2 %, c’est-à-dire « l’épaisseur du trait ». Tout cela a été analysé par Jean-Michel Naulot.
Dernier point : aucune vraie pédagogie collective n’a été exercée d’en haut. Nous avons eu droit à un discours sur la rigueur budgétaire sans articulation avec la réalité du monde, les défis à relever, l’effort à fournir, le partage nécessaire, la mesure des résultats, toutes choses dont on voit aujourd’hui les conséquences. Mais je ne veux pas ici m’exprimer sur l’actualité immédiate.
Réfléchissons à la manière de réindustrialiser le pays.
Les objectifs du Pacte de responsabilité et du CICE n’ont été que très partiellement atteints. La balance commerciale reste déficitaire de 60 milliards. Plus grave, le déficit de la balance manufacturière est passé de 20,8 milliards en 2014 à 23,2 milliards en 2015. Si la balance commerciale est un bon thermomètre, la substance du tissu industriel ne regagne pas en compétitivité. Si nos exportations ont crû l’an dernier de 4,3 %, nos importations, hors énergie, ont augmenté de 5,7 %.
Deux mots de la compétitivité hors coût : La France produit plutôt dans la moyenne gamme, à part quelques pôles d’excellence (l’aéronautique, le luxe). Le niveau de compétence n’apparaît pas satisfaisant. Même si, comme ancien ministre de l’Éducation nationale, je me méfie beaucoup des mesures (Pisa mesure des compétences et non des savoirs), le niveau de formation générale en France décline.
Déficit de coopération entre les différents acteurs économiques, insuffisant renouvellement du tissu productif, trop faible diffusion du numérique par rapport à nos grands concurrents.
Le déficit de la balance commerciale française, hors énergie, avoisine 24 milliards. La balance commerciale allemande présente un excédent de 247 milliards qui vient essentiellement de deux postes : l’automobile, où l’excédent allemand est de 127 milliards (alors que la France, déficitaire depuis 2006, est à -9 milliards) ; les machines où l’excédent allemand est de 87 milliards tandis que la France a un déficit de 19,2 milliards.
La balance commerciale française n’est excédentaire que dans la pharmacie, avec 7,3 milliards (beaucoup moins que l’excédent allemand), dans l’aéronautique, avec 20,7 milliards (l’Allemagne, à 16 milliards, comble son retard : son excédent était de 3 milliards en 2001), dans les industries agro-alimentaires où nous avons un excédent de 9,1 milliards (l’Allemagne, avec 5 milliards, comble là aussi son retard). Je ne veux pas faire de catastrophisme mais je suis bien obligé de constater que les grands secteurs moteurs de l’exportation sont très affaiblis. Il n’y a que l’aéronautique qui tienne la corde.
Je n’évoque pas les acquisitions par l’étranger ni l’exode des sièges sociaux : Péchiney, Arcelor, Lafarge, Alstom Power, Alcatel, Technip dont le siège social part pour Londres à la suite d’une fusion avec l’américain FMC technology (mais les bureaux restent largement à Paris).
Que faire ?
Les Échos ont publié une interview de M. Macron où j’ai vu de bonnes choses :
La transformation de notre appareil productif, initiée précédemment par M. Montebourg : Il y avait à l’époque 34 plans, M. Macron les a contractés à 9 (objets intelligents, mobilité écologique, transports de demain, villes durables etc.).
Un programme de numérisation de l’industrie, avec un appel d’offres. E
L’opération French Tech, avec 1500 start-up chaque année. Arriverons-nous à avoir une politique anti-dumping au niveau européen ? Je sais par expérience – et j’ai pu l’observer récemment sur l’affaire des panneaux solaires – que ce n’est pas toujours évident.
Enfin, la modération salariale. Je ne dis pas qu’il ne faille pas tenir compte de ce qui se passe dans les pays voisins, nous y sommes obligés. Mais cela nous aide-t-il à sortir de la nasse ? Ne s’agit-il pas de la même politique que la fameuse « désinflation compétitive » prônée dans les années 1983-1984 ? Si on raisonne au niveau européen, la conjonction de plusieurs politiques tendant à serrer les boulons permet-elle de sortir de la stagnation de longue durée dans laquelle nous sommes enfermés ? Pour ma part, hélas ! j’en doute.
J’ai parlé tout à l’heure de la monnaie forte (le franc fort d’autrefois), puis de la monnaie unique, où l’on constate que l’euro fort renforce les forts et affaiblit les faibles. Le système de la monnaie unique, étant donnée son hétérogénéité, produit des effets de polarisation décrits il y a longtemps par l’économiste Robert Mundell.
Je ne crois pas que l’Allemagne soit prête à renoncer à son modèle mercantiliste. Je rappelle que son excédent commercial correspond à 8,5 points de PIB et sa balance extérieure à 10,5 % alors que la Commission européenne, en principe, plafonne l’excédent à 4 points. Mais l’Allemagne, pour des raisons qui tiennent à sa structure démographique, veut garder sa compétitivité et l’exerce de plus en plus sur les marchés, hors zone euro, hors Union européenne et hors Europe sur les grands marchés émergents.
Je pense qu’à terme nous ne pourrons pas éviter d’aller vers une monnaie commune. Cela doit se discuter avec les Allemands. En effet, quelques arguments commencent à apparaître qui devraient les inciter à montrer plus d’ouverture d’esprit.
Nous avons besoin de flexibilité dans un monde de plus en plus chaotique : Coup de semonce autrichien, prochain référendum sur le Brexit, élections présidentielles américaines en novembre, présidentielle puis législatives en France… dans un système économique mondial qui reste marqué par une très grande liquidité, avec tous les risques de spéculation, de bulles, de retournements que cela comporte.
Je n’ai pas le temps de parler de la tendance déflationniste du système.
Je voudrais simplement dire que nous avons besoin de grandes initiatives à l’échelle mondiale pour redonner un horizon de progrès à notre monde désemparé.
Les crises ne sont pas éteintes au Moyen-Orient, en Syrie, en Irak, en Ukraine, en Libye… or le retour à la confiance passe peut-être aussi par des solutions apportées à ces conflits.
Plus profondément, nous avons besoin de grands projets d’avenir. M. Borloo, qui nous a fait l’amitié d’être parmi nous a un grand projet d’électrification de l’Afrique. C’est un exemple, on pourrait en prendre d’autres. Si on ne prend pas une initiative pour développer le Sahel, c’est une mine qui, dans quinze ans, va nous sauter à la figure.
J’aurais aimé dire aussi qu’il faudrait reconstruire un ministère de l’Industrie si on veut avoir une politique industrielle. Le ministère que j’ai connu à l’époque où Louis Gallois était le Directeur général de l’Industrie n’existe plus. Il employait plusieurs centaines d’ingénieurs. Aujourd’hui, on a recours à des bureaux d’études privés pour savoir ce qu’il faut penser sur tel ou tel sujet ! Et les documents qu’on nous communique ressemblent plus à des petites brochures publicitaires qu’à des dossiers vraiment construits.
Il faudrait mener des actions structurelles en matière de fiscalité favorables à l’investissement, à la recherche tel l’allègement de la fiscalité sur les successions d’entreprise.
Il est nécessaire de mettre prioritairement des crédits sur la formation initiale, les apprentissages de base etc. (en principe c’était le programme du gouvernement), et aussi sur la formation par alternance.
Je ne crois plus tellement aux politiques industrielles européennes. Les Allemands ont une politique dans le numérique (Industrie 4.0[3]) et nous avons « Industrie du futur »[4]. L’écart entre nos industries est abyssal (30 000 robots en France, 220 000 en Allemagne).
Il y a des politiques de « colocalisation » avec le Maghreb (expression employée par Arnaud Montebourg).
Enfin, il faut retrouver les bases d’un pacte social, ce dont nous parlera tout à l’heure M. Dehecq.
Je passe la parole à Jean-Michel Quatrepoint.
Jean-Michel Quatrepoint
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Jean Pierre Chevènement vient de vous dépeindre la situation. Elle n’est guère brillante et elle n’est pas nouvelle. Il y a déjà longtemps que quelques cassandre tirent la sonnette d’alarme. Il y a déjà longtemps que l’on sait qu’il y a une corrélation directe entre la désindustrialisation, le déficit des comptes courants et les déficits tout court. Et pourtant la désindustrialisation de notre pays s’est poursuivie. À marche forcée.
De tous les grands pays occidentaux, la France est, avec les États-Unis, celui qui a connu la plus importante saignée dans son industrie manufacturière. Cela se voit dans les chiffres. La part de l’industrie dans la valeur ajoutée, qui était de 19 % en 1984, est tombée à 11 % en 2014. En Allemagne, elle s’est maintenue autour de 22% et en Italie à 16 %. Aux États-Unis, cette diminution de la part de l’industrie est la conséquence directe des délocalisations massives. Mais elle a été en partie compensée par l’émergence des champions du numérique et d’une finance toute puissante. Ce qui n’a pas été le cas en France.
Alors, avant d’évoquer les multiples pistes pour réindustrialiser la France, ce que chacun des orateurs ne va pas manquer de faire. Je voudrais mettre les pieds dans le plat. Notre désindustrialisation n’est pas le fruit du hasard, de la malchance, de méchants concurrents. Non, elle est la conséquence d’un choix tacite, implicite de nos élites depuis 25 et même 30 ans.
Un choix stratégique délibéré, qui s’inscrit dans une évolution idéologique du capitalisme.
Un choix qui s’est accompagné d’une mutation de ces élites, des managers, devenus bien souvent des mercenaires super qualifiés.
Un choix qui a collé à un certain tropisme anglo-saxon de nos élites.
Un choix enfin qui s’est traduit par un dépérissement de l’État et qui découle aussi de la perte d’influence des États par rapport au capital, par rapport aux multinationales.
Reprenons chacun de ces points.
1) Au début des années 90, fascinées par la globalisation et le modèle anglo-saxon, nos élites ont choisi de s’inscrire dans une division internationale du travail. Et dans une division des tâches à l’intérieur de l’Europe. Ce choix stratégique a été de miser sur les services, la finance, le luxe et quelques créneaux industriels bien délimités : aéronautique, défense et énergie. L’idée était alors qu’il fallait se débarrasser du reste, de l’industrie… en la délocalisant si besoin dans le Tiers- Monde ou dans les anciens pays communistes. Ou en laissant aux Allemands la plupart des secteurs, des niches à valeur ajoutée. On fermait les usines, la mode pour reprendre ce propos terrible de Serge Tchuruk, étant au fabless (sans unité de fabrication). Les filières, des pans entiers de l’industrie disparaissaient. Mais pourquoi s’affoler puisque nous avions le CAC 40 ! Ces champions que l’on l’incitait à s’internationaliser, en leur faisant des fleurs fiscales (ce fut tout le travail de l’AFEP[5] à Bercy). Et Lorsque des esprits chagrins s’inquiétaient de cette perte de substance industrielle, de l’impact sur l’emploi, sur le commerce extérieur, sur le tissu des PME, sur les territoires, on nous répondait que les revenus financiers tirés de ces délocalisations du CAC 40, compenseraient, dans notre balance des comptes, les déficits commerciaux. Les Allemands avaient peut être leur Mittelstand mais nous avions plus de grands groupes que les Allemands et que les Italiens.
On vu le résultat. Car le CAC 40 s’est coulé dans le moule de la globalisation et surtout de la financiarisation. Faute d’avoir créé des fonds de pension sur le modèle anglo-saxon, faute d’avoir développé les banques régionales et de les avoir encouragé à investir dans le tissu industriel, le CAC 40 a vu son actionnariat s’internationaliser peu à peu. Les actionnaires, désormais en majorité étrangers, sont les représentants de ce nouveau capitalisme que je vais évoquer dans un instant.
Dans le même temps, la politique fiscale – je pense bien sûr à l’ISF et à la taxation des plus-values – a poussé nombre de patrons de moyennes entreprises à se vendre à des investisseurs étrangers, à des fonds d’investissement. On a ainsi liquidé allégrement le tissu des moyennes entreprises, contrairement à nos voisins allemands et transalpins. On s’était imaginé que l’euro doperait la place financière de Paris. Or c’est la City et même Francfort qui ont tiré leur épingle du jeu. Les deux places envisagent même de fusionner pour marginaliser définitivement Paris.
2) On ne peut pas comprendre ce qui s’est passé ces vingt-cinq dernières années, ni analyser nos erreurs, si on ne le resitue pas dans l’évolution, dans la mutation du capitalisme depuis un quart de siècle. On a abandonné le fordisme, coupable d’avoir finalement fait la part trop belle aux salariés et aux États au détriment des actionnaires, du capital. Ce mouvement a commencé avec Reagan et Thatcher et s’est amplifié avec l’effondrement du communisme. Le capital, en l’occurrence le capital anglo-saxon incarné par les banques, les fonds de pension, les fonds d’investissement, a pris le pouvoir. On a alors développé un corps de doctrine idéologique, de nouvelles règles pour optimiser le capital et favoriser son accumulation et plus seulement sa rentabilité. On a changé les règles juridiques. On a inventé de nouveaux concepts de gestion, la création de valeur notamment. On a financiarisé l’économie. Désormais la gestion des entreprises n’a plus pour priorité la production, le cash flow, voire le dividende, mais la valorisation du capital par son inflation boursière. On a ainsi assisté à une transformation de l’essence même du capital qui n’est plus un moyen de produire des biens et des services au profit de la collectivité, un capital qui mérite certes une juste rémunération. Non, le capital est devenu une fin en soi. Le capitalisme n’est plus un système de production par le capital mais un système de production de capital, favorisé par le crédit, par les dettes et la planche à billet des banques centrales. Car toute l’ingénierie financière, les LBO, les fusions, les rachats se font à crédit, avec de la dette.
3) Avec cette financiarisation, le système a acheté les managers. Hier ou plutôt avant-hier, ils étaient au service de l’entreprise, personne morale, qui elle-même avait des responsabilités à l’égard de ses clients, de ses salariés, de ses actionnaires et bien sûr de la collectivité représentée par les États. C’était ce que l’on a appelé le fordisme. Désormais ces managers sont au service exclusif des actionnaires. Et pour qu’ils les servent bien on a inventé les stocks options et surtout on les paie très très bien. Vous voyez l’allusion.
Je vais vous faire hurler mais je vois effectivement des analogies avec le monde du football de la NBA aux États-Unis. Ces managers sont devenus des hypertechniciens de la gestion… essentiellement financière et ce, bien souvent, au détriment de leur intuition et de leur capacité créatrice. Cela tient aussi à l’enseignement dispensé dans nos grandes écoles. On a formé des techniciens du « comment », en oubliant de leur expliquer le « pourquoi ». À l’ENA, à l’X, à HEC et ailleurs, on enseigne des techniques, des recettes, des modèles mathématiques, pour gérer une administration ou une entreprise, en oubliant qu’une administration ou une entreprise, ce sont des hommes et des produits qui évoluent dans un environnement de plus en plus volatile. Et qu’il faut avoir une vision transversale des choses et pas seulement verticale.
Le succès des Trente Glorieuses avait été rendu possible par la conjonction d’un capitalisme entrepreneurial familial et d’un capitalisme d’État. Avec, dans le privé, des patrons connaissant parfaitement l’entreprise et ses produits et des grands commis de l’État à la tête des entreprises publiques, qui menaient des stratégies de long terme. Ils ont été peu à peu remplacés par une nouvelle caste de managers mercenaires interchangeables. Dans les années 90, cette caste a été touchée par le virus de la cupidité (greed is good, greed is God)) et par l’internationalisation du capital des entreprises qu’ils dirigeaient. Leur mandat n’était plus de travailler à long terme pour le bien d’une entreprise, mais de permettre l’enrichissement le plus rapide des actionnaires et d’eux-mêmes. Entre 1998 et 2008, la rémunération des actionnaires (les dividendes) dans la valeur ajoutée des entreprises a doublé, passant de 4,7 % à 9,5 %. Cela s’est fait au détriment des salaires et des impôts. Puis, pour maintenir le niveau de dividendes et celui des salaires qui avaient déjà fortement baissé, les chefs d’entreprise ont rogné, entre 2008 et 2014, sur l’autofinancement. D’où le retard constaté dans l’investissement en France.
4) La désindustrialisation a été voulue, car c’est le modèle proposé par les anglo-saxons. Or une bonne partie de nos élites ont un fort tropisme anglo-saxon. Il remonte à loin. Airbus et Ariane sont finalement des accidents de l’histoire. Chaque fois qu’il y a eu des choix à faire la France a choisi l’Amérique plutôt que l’Allemagne. La solution américaine plutôt que l’européenne. Vieux ressentiment, rejet de la mentalité casque à pointe, ou conviction que l’Allemagne étant de toute façon alignée in fine sur les États-Unis il valait encore mieux traiter directement avec les Américains. En fait les coopérations industrielles franco-allemandes sont rares. Il y a quelques exceptions, Atos par exemple. Toujours est-il que le modèle rhénan n’a pas fait florès en France. On lui a toujours préféré le modèle anglo-saxon. Rappelez-vous le choix, il y a quarante ans, d’Honeywell Bull plutôt que de Siemens pour l’informatique. Alcatel Lucent, General Electric avec Alstom (même si Arnaud Montebourg a essayé de mettre Siemens dans le coup, mais Siemens était un leurre), mais aussi la Générale de radiologie (la France a abandonné toute l’électronique médicale). Oui, nos élites préfèrent les anglo-saxons. Quitte à se faire rouler régulièrement dans la farine. Mais cela on ne le découvre généralement qu’après. Le mal est fait. L’entreprise a été vendue, ses usines peu à peu fermés, les sous-traitants liquidés, les sièges sociaux évaporés et les impôts disparus dans les paradis fiscaux.
5) Ce choix s’est enfin traduit par un dépérissement de l’État. Le mouvement de balancier que la France a connu entre 1981 et aujourd’hui, avec la nationalisation, puis la privatisation de la plupart des grandes entreprises, des banques et des assurances, a favorisé l’emprise de cette nouvelle caste de managers… mercenaires. Avec la complicité active de l’appareil d’État formé aux mêmes écoles, à la même pensée néolibérale anglo-saxonne. Un État qui n’a même plus joué son rôle d’actionnaire dans les entreprises où il restait présent. Un État corseté par Bruxelles et son idéologie ultra libre-échangiste. Les meilleurs de nos jeunes se coulent dans le système, ils délaissent l’administration et n’ont qu’une idée : pantoufler. L’État, quant à lui, a externalisé ses compétences, sous-traité le traitement des dossiers industriels à des banquiers d’affaires le plus souvent anglo-saxons. La boucle est ainsi bouclée. Des banquiers anglo-saxonisés ne peuvent que conseiller des opérations qui correspondent aux critères mis en place par ce nouveau capitalisme financier.
Dès lors, persuadées d’être dans le sens de l’histoire, convaincues que la France n’a plus d’avenir dans la plupart des secteurs industriels, nos élites ont organisé la retraite sur des positions qu’ils n’ont même pas préparées à l’avance.
Alors, que faire ?
D’abord, il faut être conscient qu’il n’y aura pas de réindustrialisation de notre pays sans un changement profond des mentalités et des hommes, sans un changement des paradigmes. Ainsi la puissance publique doit d’un côté déflater ses effectifs, diminuer cette sorte d’anémie graisseuse que nous avons nourri depuis vingt ans pour compenser la perte des emplois marchands. Mais nous devons parallèlement retrouver des compétences et un savoir-faire là où c’est indispensable si nous voulons préserver un minimum de souveraineté.
Il n’y aura pas de réindustrialisation si les managers, la haute administration, la classe politique et médiatique et les innombrables lobbies ne trouvent pas un nouveau consensus en faveur d’une nouvelle approche de la mondialisation à l’ère de la troisième révolution industrielle. Il faut qu’une certaine ultra gauche arrête de rêver à un grand soir dont la population ne veut pas.
Dès lors que les mentalités changent, il y a beaucoup à faire. D’abord lutter, pour sauver ce qui peut l’être. Lutter non pas derrière une ligne Maginot, mais lutter en pratiquant le jiu-jitsu. Miser bien sûr, sur les nouvelles technologies, robotiser notre outil de production, en faciliter le financement, investir massivement dans le R&D, augmenter le budget de la défense pour qu’il irrigue nos industries spécialisées, elles-mêmes devant alimenter un réseau de PME spécialisées. Et il ne faut pas hésiter à réserver ces marchés « confidentiel défense » à nos entreprises. Comme aux États-Unis.
Formons les hommes et arrêtons de nous focaliser sur les services à la personne, les emplois low cost de vendeur de pizzas ou de livreurs de produits d’Amazon. Formons les hommes. Formons les à se battre sur le marché mondial, à identifier les dérives du système pour les combattre ou les contourner. N’acceptons pas le totalitarisme des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) qui nous préparent des lendemains cauchemardesques où les ultra-riches auront droit à l’immortalité et les autres, le reste, auront juste de quoi survivre.
Préservons nos start-up et faisons en sorte qu’elles ne soient plus systématiquement rachetées par les nouveaux monstres. Développons notre propre vision d’un capitalisme moderne, à base d’un nouveau contrat social entre le capital et le travail, entre les individus et la collectivité. Ni collectivisme, ni individualisme forcené. Face à ce capitalisme financier anglo-saxon et à ses dérives, face au modèle californien qui joue les apprentis sorciers avec le transhumanisme, proposons au monde une autre vision de la mondialisation, une autre approche des rapports humains, et de la révolution numérique. Oui il est temps de réinventer un nouveau fordisme qui sera le socle de cette troisième révolution industrielle, où le capital et la technologie seront au service des hommes et non l’inverse.
Merci
Jean-Pierre Chevènement
Merci à Jean-Michel Quatrepoint, pour ce réquisitoire qui avait le grand mérite de mettre l’accent sur les mutations structurelles du capitalisme devenu aujourd’hui un capitalisme financier mondialisé. Il a également appelé à un changement de paradigme.
louis gallois
Sur la compétitivité de la France, la « photographie » faite par Jean-Pierre Chevènement est parfaitement adaptée, elle ne suscite pas de débat. Mais, me semble-t-il, le « film » est un peu plus encourageant.
Jean-Pierre Chevènement a indiqué que les exportations de biens manufacturés avaient augmenté de 4,3 % en 2015. Cela veut dire que nous avons repris des parts de marché sur les marchés adressés à la France. Notre grande faiblesse, c’est que l’appareil de production français ne correspond pas à la demande française. De ce fait, toute relance de l’économie par la consommation se traduit par une augmentation plus que proportionnelle des importations.
Le second élément qui me paraît constituer un élément encourageant, c’est que les marges des entreprises se sont redressées, à la fois sous l’effet d’éléments comme la baisse du prix du pétrole mais aussi grâce aux 30 milliards déjà versés (sur les 41 milliards promis) dans le cadre du Pacte de responsabilité. . Cela représente 1,5 % de PIB, ce qui se voit dans les marges des entreprises. On est actuellement à 32 %, ce qui était le niveau de 2008, niveau qui n’est pas très éloigné du niveau moyen européen.
Donc je pense qu’il y a des éléments du film qui sont plutôt encourageants et sur lesquels il faudra certainement insister.
Mais ce n’était pas l’objet de mon intervention.
Reprenant le recul historique de Jean-Michel Quatrepoint, je dirai que la France n’a jamais été un pays industriel. La parenthèse gaullo-pompidolienne est une exception dans notre histoire. Notre ADN n’est pas celui de l’Allemagne. L’ADN allemand, c’est l’industrie. Dès avant 1914, l’industrie allemande était passée devant l’industrie britannique, alors la première du monde. Le Mittelstand n’est pas apparu par l’opération du Saint-Esprit, il s’inscrit dans l’histoire industrielle de l’Allemagne. Nous n’avons pas la même tradition industrielle. Nous avons eu une tradition agricole, nous avons eu une tradition assez spéculative (comme en témoignent les scandales de spéculation tout au long des 19ème et 20ème siècles) et rentière.
Cela me conduit à penser, rejoignant Jean-Michel Quatrepoint, que notre problème est culturel. La France a un problème culturel vis-à-vis de son industrie. Je pense que notre pays lui-même, dans ses profondeurs, n’a jamais compris l’enjeu industriel. L’effort de pédagogie, qui n’a pas été fait, est un élément absolument décisif. Nous savons bien que c’est par les idées qu’on mène le monde et, pour promouvoir l’idée industrielle, en dépit des efforts de certains (nous avons à cette tribune trois ministres qui ont fait des efforts dans ce domaine), je crois que nous avons un travail considérable.
La réindustrialisation de la France prendra beaucoup de temps. Il faut probablement se situer à l’échelle de la décennie, ce qui est en décalage avec le calendrier politique et surtout par rapport à l’impatience de l’opinion publique. Il va donc falloir aux politiques une persévérance et une cohérence en béton ! Dans les difficultés qu’inévitablement nous traverserons, il faudra maintenir la priorité industrielle, ce qui signifie que toute mesure, d’où qu’elle vienne, devra être jugée en fonction de son impact sur la compétitivité de la France. En Allemagne, un organisme examine tous les projets de lois et rend au Conseil des ministres un rapport transmis ensuite au Bundestag sur l’impact de ces projets de lois : impact financier brut et impact sur les entreprises et sur le secteur public. Le patron de cet organisme, un ancien dirigeant des chemins de fer allemands, me disait que c’est une discipline extrêmement salutaire. Il faudra que nous soyons capables de mettre en place ce type de discipline.
J’en viens aux préconisations.
La France ne pourra jouer la carte industrielle que dans deux directions :
La première est le haut de gamme, pour échapper à l’étreinte des coûts sur lesquels nous ne serons jamais bien placés. Dans l’industrie automobile, le coût horaire en France est de l’ordre de 30 euros, il est de 20 euros en Espagne, 12 euros au Portugal, 2 euros au Maroc ! Donc il ne faut pas penser, quoi qu’on fasse, que nous puissions nous battre sur les coûts. Il va falloir nous battre sur autre chose. Ce ne peut être que le haut de gamme, c’est-à-dire l’innovation, la qualité, les services accompagnant le produit et l’image. L’Allemagne réunit au moins trois de ces éléments : l’innovation, plutôt incrémentale, la qualité perçue, l’image assumée. En ce qui concerne les services, ils sont en train de s’y préparer.
La deuxième direction est le numérique. La vogue du numérique est en train de se répandre comme un feu de brousse. Au-delà de l’effet de mode, le numérique apporte deux éléments : il améliore considérablement l’efficacité des processus, notamment des processus industriels et il est en train de transformer les modèle économiques. Comme le dit M. Macron, on ne vend plus des produits, on vend des « solutions » qui associent le produit et son usage. Nous ne vendrons bientôt plus de voitures mais un service de mobilité. Les gens auront pendant la semaine une petite voiture pour aller au travail, ils viendront chercher le dimanche une voiture plus grande pour promener leur famille et l’été ils prendront un cabriolet pour promener leur petite amie. On va passer à l’usage. Il est même possible qu’un jour les machines elles-mêmes ne seront plus la propriété des usines qui n’en acquerront que l’usage. Aujourd’hui, la distinction entre produit et service et en train de s’estomper à cause du numérique et nous devons en tenir compte. C’est pourquoi lorsqu’on parle de la désindustrialisation américaine, je mets un bémol très sérieux : « désindustrialisation » selon les critères classiques, peut-être, mais Internet crée aux États-Unis les mêmes effets, à la fois économiques et de puissance, que l’industrie dans le passé.
Le numérique permet aussi de rebattre les cartes. Il peut permettre à la France, qui a pris du retard, de se remettre à niveau si nous sommes capables d’y aller assez vite. C’est tout à fait possible. D’autant plus que nous avons – c’est un de nos atouts – les ingénieurs qui nous permettent de nous situer au meilleur niveau de la compétence dans le numérique.
Les éléments-clés sont dès lors les suivants :
1 L’innovation.
Beaucoup a été fait pour rapprocher la recherche publique de l’industrie mais beaucoup reste à faire. Il est très important que l’effort soit poursuivi dans ce domaine, notamment à travers le programme des investissements d’avenir qu’Arnaud Montebourg et moi-même connaissons bien pour nous être « frottés »sur ce sujet.
Nous avons la chance d’avoir de nombreuses start-up. Notre problème est de leur permettre de grossir. C’est un problème fiscal : il s’agit d’avantager le risque par rapport à la rente. C’est un problème financier pour permettre les tours de table du troisième tour (c’est-à-dire entre 50 et 100 millions d’euros). Nous devrons résoudre ce problème, sinon les start-up iront se financer à Londres et à New York, ce qu’elles font déjà.
2 L’investissement.
La France a un retard d’investissement. Et surtout, dans la période récente, l’investissement n’a pas été affecté à la modernisation de l’appareil productif mais à l’alignement des processus industriels sur les règlements de sécurité environnementale. D’où les chiffres connus : 33 000 robots en France, 62 000 en Italie, 150 000 en Allemagne !
Concernant l’investissement, tous les feux sont au vert : les marges des entreprises sont reparties (35 %), le crédit est abondant et bon marché. Le suramortissement (la possibilité d’amortir plus que le bien acquis) est une très bonne mesure qu’il faut pérenniser. Mais pour déclencher l’investissement il faut créer la confiance. Nous avions un regain de confiance en début d’année : les entreprises avaient des projets qui représentaient une augmentation de 7 % de l’investissement en 2016 par rapport à 2015, une progression que nous n’avions pas connue depuis des années. J’espère que la situation actuelle n’amène pas un certain nombre d’entreprises à remettre en cause leurs investissements…
3 Formation-qualification.
La formation initiale de nos ingénieurs est correcte, y compris les ingénieurs formés par les universités.
Nos faiblesses sont l’apprentissage et le numérique. Nous avons la moitié du nombre d’apprentis dont nous aurions besoin, à la fois pour des questions de compétences et pour permettre aux jeunes de rentrer sur le marché du travail. En ce qui concerne le numérique, nous n’avons pas les formations initiales qui permettent de former les programmeurs dont nous avons besoin. D’où l’initiative de Niel avec son école, le « 42 »[6].
La formation continue est le véritable problème français. C’est le pire produit du paritarisme parce qu’il a conduit au conservatisme parce qu’il finançait autre chose que de la formation ; et donc personne n’avait envie d’y toucher. Les formations ne sont pas qualifiantes mais sont largement des formations d’adaptation à des postes. Donc elles n’élèvent pas le niveau de qualification. Elles ne portent pas très souvent sur les bons sujets (en particulier sur le numérique où la formation continue est faible) et souffrent de la médiocrité générale de la qualité des structures de formation continue et de la faiblesse des liens avec la formation initiale. Une exception : le secteur agricole où la formation continue fonctionne bien.
4 Le soutien à l’emploi qualifié.
Je plaide – dans le désert – depuis un certain temps pour que les allègements de charges sociales ne soient pas confinées sur les bas salaires, sous l’argument – valable à court terme – que c’est là que se trouvent les chômeurs et que si on veut remettre les gens au travail il faut réduire le coût de l’emploi non qualifié. Ceci a pour effet de tirer tout l’emploi vers l’emploi non qualifié alors que nous avons besoin au contraire d’élever le niveau de qualification, notamment dans le numérique. Si nous ne sommes pas capables d’élever le niveau de qualification nous serons balayés par la révolution numérique. Il ne s’agit pas uniquement de former des spécialistes du numérique, il faut que tout le monde dans l’entreprise puisse utiliser les outils du numérique et comprendre ce qui se passe avec le numérique.
Je redis ce que j’ai dit en introduction : il faut convaincre les Français de la priorité industrielle. Nos élites doivent en être également convaincues. Mais c’est un problème culturel qui exige persévérance et cohérence. Cohérence, parce qu’on ne met pas suffisamment en scène la politique industrielle pour qu’elle apparaisse au pays comme traçant une ligne d’avenir (je parle sur la décennie, je ne parle pas de la période récente). Persévérance parce que ce sera une œuvre de longue haleine qui se heurtera à la multiplication d’urgences qui conduiront constamment à remettre en cause la priorité industrielle.
Merci.
Jean-Pierre Chevènement
Merci à Louis Gallois pour cet exposé passionnant qui donne à réfléchir. Une observation toutefois :
Parler d’un problème « culturel » ne résout pas la question de savoir pourquoi il y a eu les Trente glorieuses puis les quarante piteuses…
louis gallois
Les Trente glorieuses ne sont pas trente glorieuses industrielles, c’est la politique gaulliste des grands programmes, suivie par Pompidou et un peu par Giscard.
Jean-Pierre Chevènement
Je me tourne maintenant vers M. Thierry Breton dont je vous rappelle qu’il n’est pas seulement le patron d’Atos mais qu’il a été ministre de l’économie et des finances et de l’industrie de 2005 à 2007.
Thierry breton
Merci, Monsieur le ministre, de m’avoir invité à République Moderne.
En vous entendant, je me disais que ce qui nous réunit ici autour de la table : journaliste, chefs d’entreprises, grand commis de l’État, ministres, c’est que nous sommes tous des patriotes. Nous partageons le même amour de la France et nous sommes très sensibilisés à la question industrielle et à ce que la France produit de différent. Nous nous retrouvons aussi sur le fait qu’il n’y a pas de fatalité.
C’est ce que je vais évoquer avec vous après avoir entendu les brillants exposés liminaires.
Il n’y a pas de fatalité, y compris avec l’Allemagne. Jean-Louis Borloo et moi étions collègues au gouvernement entre 2005 et 2007 : le chômage avait baissé de 9 % à 7,4 % et l’Allemagne était à 9,2 % au moment où nous avons quitté le gouvernement. Pour la première fois depuis trente ans, la dette avait été ramenée à 62 % (contre 66 % quand j’étais arrivé). Quand j’avais dit que nous allions baisser la dette tout le monde m’avait pris pour un fou. Nous l’avions baissée et nous étions revenus en excédent primaire. L’Allemagne était à 67 % d’endettement.
Que s’est-il passé ?
D’abord il y a eu un quinquennat dramatique. Je ne porterai pas de jugement sur le suivant car… tant que le gong n’a pas sonné le boxeur peut se relever ! Mais pendant ce temps les autres ont bougé.
Il n’y a pas de fatalité ! C’est ce que j’avais voulu démontrer quand j’étais au gouvernement. Oui, on peut baisser la dette de la France. Oui, on peut réindustrialiser la France. Il y a une cinquantaine d’années, dans cette même salle, on aurait pu tenir un discours sur le fait que la France allait devenir un grand pays industriel après avoir été un grand pays agricole. Aujourd’hui, hélas, l’industrie que nous avons connue florissante représente 3 millions d’emplois sur 66 millions d’habitants. Cette baisse du nombre d’emplois industriels va continuer mais ils vont être remplacés par autre chose. C’est aussi ce que je vois tous les jours. Après avoir quitté le gouvernement je suis allé enseigner à Harvard pendant deux ans. À l’université d’économie j’avais comme voisin Larry Summers, ancien ministre des finances de Clinton et professeur. Il était très décliniste. Il continue à l’être puisqu’il nous dit maintenant que nous rentrons dans une stagnation séculaire. Ce n’est pas mon avis.
Il n’y a pas de fatalité, pour peu qu’on investisse correctement, pour peu qu’on mette de la flexibilité et de la sécurité là où il faut en mettre, pour peu qu’on ait les systèmes de formation adéquats.
Il n’y a pas de fatalité. Je le vis tous les jours dans l’entreprise que j’ai reprise il y a huit ans : nous sommes passés de 40 000 à plus de 100 000 ingénieurs ; nous étions présents dans 40 pays, nous sommes dans 72 pays, numéro 3 mondial, numéro 1 européen, premier acteur des technologies de l’information. Nous avons créé une coopération absolument exemplaire, la plus importante après Airbus en reprenant les activités de Siemens avec un partenariat tout à fait structurant : 33 000 ingénieurs, une vraie entreprise franco-allemande (un siège à Paris, un siège à Munich).
Et puis évidemment, derrière, la vague numérique, la vague digitale.
Sortant des classes préparatoires au Lycée Louis Le Grand, j’avais été refusé à l’X à cause d’une note éliminatoire en dessin industriel. Décidant de ne pas redoubler, j’étais entré à Supélec parce que j’étais un amoureux des mathématiques et que c’était la première école où on faisait de l’informatique. Ce fut une chance : si j’avais redoublé, je serais entré dans un corps de grands commis de l’État et j’aurais contribué à à la catastrophe que Jean-Michel Quatrepoint a décrite. Arnaud Montebourg et moi étions leurs patrons en tant que ministres de l’Industrie. Les grands corps avaient servi admirablement la France après la guerre quand il s’était agi de la moderniser, de la reconstruire. Mais ensuite, ils sont devenus des castes. Au moment du drame d’Areva, j’avais voulu changer la dirigeante, la faire évoluer, lui proposer quelque chose de bien. Le corps des Mines s’y était opposé : « On ne touche pas à un mineur ! Jamais ! ». On a dit ça aussi pour Alstom, pour Péchiney. J’ai vu tout cela.
Je suis allé là où les mineurs ne voulaient pas aller. Je suis allé chez Bull et nous avons sauvé Bull. Je suis allé chez Thompson. Personne ne voulait y aller, ça valait un franc. Quand je suis parti, ça valait 100 milliards. Je suis allé à France Télécom, où l’action est passée de 6 à 24 euros.
Il y a quand même des secteurs qui se sont protégés, qui ont réussi à s’en sortir, dont le secteur des technologies de l’information. Aujourd’hui, la France est clairement leader en Europe et dans le monde dans le domaine des services et des technologies de l’information. Il y a deux Français parmi les cinq premiers mondiaux et on n’en parle pas ! Pourtant ce que nous faisons est absolument essentiel en matière de réindustrialisation, y compris en Allemagne où nous sommes le partenaire essentiel de Industrie 4.0 avec Siemens, nous numérisons, nous digitalisons l’ensemble des usines allemandes, en particulier celles du groupe Siemens, en apportant de la puissance pour pouvoir digitaliser l’ensemble de l’outil industriel, stockant et exploitant les données, créant de la valeur avec ces données. En effet, on multiplie désormais par deux le nombre de données produites par l’humanité tous les ans (la loi de Moore s’applique également à la production de données).
Arnaud Montebourg et moi avons tiré la sonnette d’alarme, nous avons mené un combat pour obtenir une régulation européenne, car tout ceci ne se comprend qu’au niveau européen, pour faire comprendre que les données industrielles produites par nos entreprises, désormais patrimoine européen, doivent être stockées, processées, traitées en Europe (Arnaud Montebourg m’avait demandé de piloter les aspects cloud au niveau français). La France a adopté cette position, l’Allemagne également. Après trois ans de combat, on commence enfin à avoir une politique à peu près commune sur ce point absolument essentiel, le fait que ce patrimoine informationnel que nous générons tous les jours doit être absolument préservé sur le territoire européen. Faute de quoi, ceux qui l’aspirent vont créer les services, l’innovation, la recherche de demain. Il est donc absolument indispensable de ne pas être naïfs. Vous avez dit, Monsieur le ministre, que nous avions parfois été un peu trop naïfs en France et en Europe. C’est un point majeur sur lequel je veux insister.
Vous avez aimé la digitalisation, dirai-je aux jeunes, vous allez adorer ce qui va venir ! En 2020 on traitera par an 40 zettabytes. (zetaoctets) [1 zettabyte (zettaoctet) = 1 millier de milliards de milliards de bytes (octets) d’informations], c’est-à-dire plus qu’il n’y a de grains de sable sur toute la planète. On doublera en 2021… et ce n’est que le début. Nous avons la capacité de traiter, de stocker toutes ces données. Les applications sont absolument infinies.
Selon certains économistes, depuis les grandes révolutions techniques, la machine à vapeur (principe de Carnot) et l’électricité (équations de Maxwell), il ne s’est rien passé, si ce n’est Internet, qui détruit plus d’emplois que ça n’en crée. C’est oublier que la base de la révolution technologique que nous vivons n’est pas la digitalisation, n’est pas la numérisation, c’est la mécanique quantique (1905) à laquelle la France et l’Europe ont considérablement apporté : Albert Einstein (1905), Louis de Broglie (1923), Schrödinger, Bohr… et des prix Nobel : Claude Cohen-Tannoudji (1997), Serge Haroche (2012) sur l’intrication quantique… Nous en sommes aux premières applications de la physique quantique. De même qu’il y a eu la thermodynamique, de même qu’il y a eu l’électricité, nous rentrons maintenant dans la phase quantique. La mécanique quantique est compliquée, contre-intuitive. Il faut faire un effort important pour y entrer. La thermodynamique était plus facile à concevoir. Et on en voyait les implications sociales : vider les campagnes pour amener la main d’œuvre sur les lieux de production de l’énergie ou des minerais. Elle avait complètement restructuré le paysage social, le paysage géographique, avec l’électricité, avec la mobilité, les machines à vapeur, les véhicules.
Aujourd’hui des chercheurs travaillent sur l’atoseconde (10-18 seconde), le temps que met un électron qui change d’une couche à une autre à libérer un photon. C’est ce qui se passe au niveau électronique. Entre 10-18 seconde (le temps, au niveau de l’atome, qui génère les liens, la luminescence, qui absorbe l’énergie, qui en crée) et 1 seconde, il y a plus d’événements et plus de durée qu’entre maintenant et la création de l’univers.
Sans mécanique quantique pas de laser, pas de transistor, pas d’IRM, pas de téléphone portable, pas de GPS… 50 % des activités que nous créons et consommons aujourd’hui sont issues des premières applications de la mécanique quantique, y compris les applications qui nous paraissent bouleverser notre vie que sont la digitalisation et la numérisation.
Dans mon groupe, j’ai créé une ligne « investissement quantique ». Par miracle, nous avons réussi à préserver la création et la fabrication des supercalculateurs. Le groupe dont je suis devenu PDG il y a 8 ans (qui est passé de 3 milliards € de CA à 12 milliards € sans dette) a racheté Bull, la seule entreprise en Europe qui crée les supercalculateurs (les HPC). Nous venons de sortir notre dernier né, le Sequana, un ordinateur pétaflopique, qui va monter à l’exaflopique d’ici 2020 : de 1000 millions de milliards d’opérations par seconde, on va monter à 1 milliard de milliards d’opérations par seconde en 2020. C’est le plus puissant du monde et il est français, il est européen. Nos clients en ont besoin pour traiter les données et la génération d’après commence à travailler sur l’ordinateur quantique, c’est-à-dire sur la compréhension de la matière pour changer radicalement de perspective, d’éléments de programmation. J’en ai convaincu Jean-Claude Juncker (avec le commissaire Oettinger) et la Commission européenne vient de lancer un plan d’investissement d’un milliard d’euros. La France, avec Atos, joue un rôle-clé dans ce domaine. On n’en parle pas. Atos est l’une des trois compagnies qui, dans le monde, travaillent sur les ordinateurs quantiques, en partenariat avec le CEA, dont on ne dira jamais assez le rôle extraordinaire qu’il joue pour notre pays en matière d’innovation et de recherche (et qu’il faut absolument préserver, avec le CNRS), et Google, dont le patron des ordinateurs quantiques a fait sa thèse au CEA, et IBM. Ces trois acteurs sont en train de définir le monde de demain (2025 – 2030). Si l’ordinateur quantique voit le jour, nous aurons une puissance exponentielle. Je vous parlais des 40 zettabytes (zettaoctets) de grains de sable. Aujourd’hui, pour trouver sur la planète un grain de sable qui a des spécificités particulières, il faudrait des algorithmes qui y consacreraient la durée de l’univers. Un ordinateur quantique, en une opération, localisera le grain de sable recherché. Nous avons en France, dans ces domaines qui dépassent un peu l’entendement, des ingénieurs qui maîtrisent parfaitement ces technologies.
Voilà le monde dans lequel nous entrons. Nous avons tous à gérer des transitions qui, par définition, sont douloureuses et compliquées. Cela passe d’abord par une vision. J’ai dû me battre un peu en interne pour imposer ma ligne de R&D. Nous avons décidé en comité exécutif du montant qu’on allait investir : 300 millions d’euros (nous sommes la seule société de services à investir une telle somme). À mon arrivée, Atos ne possédait aucun brevet, aujourd’hui, nous avons 5000 brevets. Il faut de la vision, du long terme. Et on peut réconcilier le long terme avec la profitabilité. La vie d’une entreprise, ce n’est pas « ou », c’est « et ».
La vision ? Nous l’avons.
Les moyens ? Nous avons des compétences exceptionnelles dans ce domaine. Nous avons cette culture scientifique, cette culture d’ingénieur dans notre pays. Il faut absolument la développer et encourager nos jeunes à aller dans les domaines scientifiques, techniques. Cette année, nous allons embaucher 15 000 ingénieurs chez Atos, dont 1800 en France. L’année prochaine ce sera 20 000. Et nous sommes leaders en Europe.
C’est difficile. C’est peut-être pourquoi nous sommes un peu plus imaginatifs que nos amis américains qui utilisent les plateformes « bifaces » (pour reprendre le terme économique qui a valu le prix Nobel à Jean Tirole) basées sur nos techniques, sur nos infrastructures. Amazon, ce n’est que de la logistique, il faut être précis mais la technique n’est pas compliquée. Google a été une idée de génie derrière laquelle il y a des plateformes très importantes, du marketing et la capacité d’attirer les meilleurs grâce au financement. Nous avons toutes capacités pour réaliser ces plateformes industrielles qui vont permettre de créer des millions d’emplois et de services nouveaux. Nous les fournissons nous-mêmes. Encore faut-il que notre écosystème nous permette de le faire. C’est là que nous retrouvons les problèmes dont nous parlons aujourd’hui, qui sont très douloureux à vivre parce qu’ils concernent la vie de nos compatriotes, que nous devons accompagner dans cette évolution, mais qui sont formidablement porteurs d’avenir pour les jeunes.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur le ministre pour cet exposé remarquable. Vous nous avez rappelé que les Français étaient bons en maths et en physique. Il faut absolument le faire savoir à Mme Najat Vallaud-Belkacem afin qu’elle généralise l’apprentissage de la physique quantique !
thierry breton
Quand j’étais en première scientifique, nous avions six heures de cours de sciences et de physique. Aujourd’hui c’est trois heures. C’est un scandale !
Jean-Pierre Chevènement
Absolument. Mais on a beau s’époumoner à rappeler que les disciplines sont la base de tout apprentissage… ce discours ne passe pas. La mode est à l’interdisciplinaire, impossible de s’y soustraire.
Il y aurait sans doute beaucoup d’autres choses à faire. On ne peut pas remplacer tous les chômeurs français par des ingénieurs spécialisés dans la physique quantique… Mais vous nous avez ouvert une perspective sur les révolutions scientifiques et technologiques en cours. On ne peut pas résoudre les immenses problèmes qui sont devant nous sans se concentrer là-dessus.
arnaud montebourg
Merci à Jean-Pierre Chevènement pour ces rencontres toujours très approfondies, très documentées et pluralistes – donc enrichissantes – qui témoignent du souci chevillé à l’esprit de l’intérêt général et de l’avenir de notre pays. Il est toujours passionnant de confronter les points de vue des amoureux de l’industrie, « militants » de ce qu’a été l’appareil productif. L’ensemble de ceux qui sont intervenus ont en commun l’idée de base qu’un pays ne peut acquérir les fondements de sa puissance que s’il a des éléments de puissance industrielle. Cette idée ne fait pas consensus en France et se heurte, comme l’a dit Louis Gallois, à une sorte d’obstacle implicite et culturel.
Un pays qui ne produit pas est dans la main des pays qui produisent. Et il devient le consommateur, l’utilisateur, des règles, des produits, des normes, des brevets, des idées des autres. Il s’appauvrit faute d’avoir fait cet effort productif.
Ce legs de plusieurs générations politiques depuis la théorisation d’un État fort, capable d’unir les forces autour d’un projet industriel national, qu’a été le gaullisme, remonte selon moi aux tréfonds de l’histoire (c’est peut-être un point de désaccord avec Louis Gallois) : Napoléon III et les Saint-simoniens, Louis XIV et le mercantilisme de Colbert… Cette tradition d’un État fort attaché à la puissance industrielle reste un point qui a dépassé le clivage de la Révolution française. C’est pourquoi je pense qu’il y a des contradictions dans notre pays.
louis gallois
Concernant les périodes citées je suis d’accord. Il y a eu la période de Colbert, la période de Napoléon III et la période gaullo-pompidolienne. Mais je pense qu’entre ces périodes il y a le désert. Napoléon Ier en particulier n’a pris aucun soin du développement des technologies. Et je ne pense pas que ses successeurs jusqu’à Napoléon III aient fait des efforts.
arnaud montebourg
Il a entretenu une armée, il a construit des haras, il a formé des combattants, il a fait des écoles militaires et des lycées, il a fait beaucoup de choses ! Il ne pouvait donc pas tout faire. Mais on mènera ce débat sur un temps long et on verra que finalement la France est traversée, comme elle l’est aujourd’hui, de contradictions et de conflits sur ce sujet :
Comme l’a fort bien démontré Jean-Michel Quatrepoint, certains ont épousé l’esprit du libéralisme anglo-saxon, qui n’a rien à voir avec l’ordo-libéralisme du modèle rhénan. Ces théoriciens de la défaisance ou de l’abandon se situent dans tous les partis politiques, dans toutes les couches de la société.
D’autres pensent que l’État, sans être intrusif (il ne peut pas tout faire ni se substituer au secteur privé), a un rôle de stratège, assume son leadership, organise les forces, structure les financements, fait conjuguer les efforts vers un but commun. L’État qui a un rapport avec la puissance industrielle, a une théorie mercantiliste qui consiste à vendre le plus cher possible le travail national à l’extérieur, faute de quoi c’est le pain quotidien des citoyens – autrefois des sujets – qui vient à manquer.
J’emprunterai plutôt le chemin optimiste : même si le réquisitoire est exact, l’analyse parfois désolante, il y a des forces qui s’organisent dans ce pays pour le réindustrialiser. Et je crois qu’une volonté politique existe qui s’illustre dans tous les quinquennats. Je peux saluer M. Estrosi à qui l’on doit les filières industrielles sur lesquelles je me suis appuyé pour faire les 34 plans industriels dont a parlé Thierry Breton. On voit que par-delà les vicissitudes politiques, la tambouille politicarde dont nous sommes tous les victimes et parfois les observateurs forcés, cette course de relais des bonnes volontés traverse les âges. Je peux rendre hommage à ce qu’avait fait le président Sarkozy sur Alstom et déplorer ce qui n’a pas été fait sur l’acier à Florange.
Donc on voit qu’il y a des forces qui savent s’unir, se donner la main quand il le faut pour poursuivre le combat.
L’État reste-t-il suffisamment fort pour unifier ?
Avec l’équipe un peu audacieuse qui m’entourait, nous avons essayé de bâtir un certain nombre de choses qui sont encore en état et peuvent servir à nos successeurs :
D’abord la politique de patriotisme économique. Il est possible dans certains cas d’extraire de la fameuse « concurrence libre et non faussée » certains secteurs stratégiques. Nous l’avons fait sans avoir eu besoin de violenter la Commission européenne, ni intellectuellement ni politiquement. Elle a admis – ce qu’elle n’admettait pas à l’époque du gouvernement Villepin – que dans sept secteurs (défense, eau, santé, transport, télécom, énergie…) l’État pouvait bloquer des investissements prédateurs, agressifs, portant atteinte à l’intérêt industriel du pays. Ce décret, né à cause des événements liés au dossier Alstom, pourrait être utilisé dans de nombreux dossiers. Par exemple, Safran est en train de vendre sa filiale Morpho, pépite technologique qui fabrique les papiers d’identité numériques aux États-Unis. Selon un dispositif analogue à notre décret du 14 mai 2014, le Comité des investissements étrangers aux États-Unis (CFIUS) permet au Président des États-Unis d’empêcher un investissement sans aucun recours juridictionnel possible, sans aucune conditionnalité : c’est l’exercice de l’imperium souverain des États-Unis d’Amérique. Morpho, aujourd’hui, tombe sous le coup du CFIUS américain mais, paradoxalement, ne tomberait pas sous le coup du décret du 14 mai 2014. Ce décret, pouvoir propre du ministre de l’économie, permet aujourd’hui de rééquilibrer les intérêts stratégiques sur le contrôle de cette pépite technologique qui se vend quand même 2 milliards. Ce n’est pas une petite entreprise. Il y a là un intérêt stratégique à ce que la France préserve ses intérêts et le ministre de l’économie peut parfaitement aujourd’hui décider de le faire.
Alcatel a été vendu à Nokia dans des conditions que je déplore. Une de ses filiales, une entreprise de 600 salariés dans le Pas-de-Calais (Alcatel Submarine Networks), a câblé 50 % de la planète en sous-marin. Cette entreprise a été happée dans la vente à Nokia. Le gouvernement peut utiliser le décret pour que cette activité reste dans le champ stratégique des télécom. C’est une technologie fondamentale et nous n’avons aucun intérêt à laisser d’autres puissances capturer les câbles sous-marins par lesquels passent de très nombreuses informations. On sait en effet à quel point cette question est sensible.
Nous avons des outils que pour des raisons culturelles, de mentalité, nous n’utilisons pas. A-t-on peur d’effrayer ? Mais l’affirmation d’une souveraineté n’est pas discutable. Elle est légitime par elle-même et doit s’accommoder y compris de la part de liberté, de la « liberté d’entreprendre » comme on dit dans le droit constitutionnel, de la liberté tout court.
Mais ce sont là des outils qui subsistent et qu’il faut utiliser. Si je n’avais pas fabriqué ce décret à l’époque Alstom, nous n’aurions pas même pu infléchir General Electric (même si je ne suis pas satisfait du résultat final car cette bataille fut menée dans des conditions très difficiles). Si nous avions eu ce décret nous aurions pu bloquer l’OPA sur Péchiney. Je pourrais donner d’autres exemples.
Nous aurions pu nous défendre, dans la mondialisation, contre les entités multinationales qui, d’ailleurs, utilisent leurs États pour se faire épauler : Il ne faut pas avoir la naïveté de croire que les entreprises multinationales sont seules. Elles sont appuyées et adossées sur des intérêts nationaux dont elles sont parfois des appendices, parfois des extensions et parfois des bras armés. L’extraterritorialité du droit américain a permis d’utiliser des procédures judiciaires pour obliger certaines entreprises à se vendre à d’autres entreprises américaines dans des conditions pas tout à fait équilibrées.
Donc le rééquilibrage s’impose et il est nécessaire de réarmer l’État. Nul ne le fera à notre place. Cette politique de patriotisme économique peut aujourd’hui être activée. Dans le dossier Daily Motion, à travers le partenariat de France Télécom – Orange, j’avais indiqué que nous étions disposés à vendre dans le cadre d’une alliance 50 % / 50 % mais pas à 70 % / 30 %. À l’époque on m’avait traité de protectionniste intrusif, de méchant socialiste souverainiste (ce que j’entendais comme des compliments !). Le rachat qui devait se faire par Yahoo fut heureusement bloqué car cette entreprise en très mauvaise santé a finalement détruit toutes les entreprises numériques qu’elle avait pu racheter.
Je ne dis pas que la protection soit une solution. Mais cela permet de s’organiser et surtout de dissuader les attitudes prédatrices dans un certain nombre de cas.
La Banque publique d’investissement (BPI), une toute petite banque qui n’a que 5 % du crédit, a fait dans l’ordre des PME un travail considérable. Elle a permis de fluidifier le marché, de financer des petites entreprises, des start-up. Elle augmente de 15 % l’an. Elle garantit des encours que les banques ne voulaient pas accorder sans garantie (82 000 dossiers en trois ans). C’est un bon début qui montre le chemin.
Nous avons réactivé le FDES (Fonds de développement économique et social) dont nous avons fait la banque du retournement. Les banques ne veulent pas prêter, les fonds ne veulent pas investir, la BPI ne peut pas se retrouver en situation de difficulté, nous avons donc utilisé une ligne pour sauver un certain nombre d’entreprises qui sont des outils très importants sur le plan du savoir-faire industriel : Kem One, dans la chimie, qui est revenue à meilleure santé, Ascométal, dans les aciers spéciaux, qui est impacté par la crise du pétrole mais dont les actionnaires sont toujours fidèles, Brandt, dans l’électroménager, par le rachat d’une entreprise algérienne, Rio Tinto, dans l’aluminium…
Les libéraux théorisent la défaisance : une entreprise en difficulté est condamnée par le marché, elle doit donc disparaître. L’État peut avoir une tout autre analyse. Le crédit étant très coûteux, il y a des cas désespérés dans lesquels la puissance publique n’a pas intérêt à intervenir. Néanmoins, dans un certain nombre de cas cela fut productif. Et je tiens à défendre cette politique. D’ailleurs mon successeur, Emmanuel Macron, a fait la même chose pour les cristalleries d’Arques, il faut lui rendre cet hommage. Cela montre qu’on peut continuer à le faire.
Pendant la grande crise de 2008-2009, au moment où l’économie était à l’arrêt, la politique allemande a consisté à empêcher les plans sociaux en généralisant le chômage technique partiel financé sur des fonds d’État. Lors de cet « infarctus » économique toutes les entreprises étaient menacées mais les Allemands ont fait le choix de maintenir l’outil industriel quand la France a été beaucoup plus timide et prudente sur ce sujet, pour des raisons politiques : on répugnait à maintenir en survie des entreprises en difficulté dont le seul destin, pour l’esprit libéral dominant, devait être la mort certaine. Ce travail de discernement effectué par la puissance publique fait partie du patriotisme économique.
Je pourrais continuer à l’infini et vous montrer que l’État se tient debout et qu’il dispose de moyens et d’outils. Il suffirait qu’il s’en empare.
Il reste à dire un mot, au-delà de la préservation de nos intérêts, de la création de nouvelles filières industrielles. Car il ne s’agit pas seulement de se défendre mais aussi d’inventer. Louis Gallois a fait un panorama tout à fait positif du travail qui a été fait depuis de nombreuses années. Cela a commencé avec Jean-Pierre Raffarin et les pôles de compétitivité. Nous avons fait la French Tech et les Fablab. Dans toutes les métropoles de France existent des agrégats de start-up. Certaines sont financées par la BPI. Il existe maintenant des écosystèmes de financement par le crowdfunding (financement participatif) : j’ai signé cette ordonnance, une des plus libérales du monde, qui permet de lever auprès du public, auprès des futurs clients des entreprises, ce qu’on appelle la Love money, pour financer le démarrage de ces entreprises.
La France s’est transformée en quelques années. Elle est devenue une sorte d’incubateur. Le patron de Cisco, John Chambers, a déclaré : « Quand je suis venu en France, j’ai vu la Silicon valley ». En effet, quand on met bout à bout le crédit impôt recherche, les 34 plans industriels (devenus 9), le renforcement des pôles de compétitivité, le rôle de la BPI, l’amortissement accéléré sur la robotique, le concours mondial de l’innovation, l’ensemble de la mobilisation par l’État de l’argent public et privé sur des politiques d’innovation, on arrive à une France qui se réinvente. C’est un peu comme si la France avait raté les classes de sixième, cinquième et quatrième et se remettait au niveau, en seconde et en première pour passer le bac de l’innovation. Nous avons changé de génération technologique et nous avons réinvesti au bon moment.
Je dois rendre un hommage appuyé à Louis Gallois qui, à la tête du Grand emprunt, a fourni un travail extrêmement productif : au volet sur le financement de la recherche, des universités et des programmes dans l’enseignement supérieur s’ajoute un volet très important qui a permis de financer les nouvelles frontières de l’innovation technologique et industrielle. Jamais le marché n’aurait financé cela. Seul l’État pouvait le faire.
À partir de là, peut-on aller plus loin ?
Je voudrais entrer dans la question des prolongements et, peut-être, des obstacles.
Le rapport de Louis Gallois appelait à la persévérance, à la continuité et à la cohérence. Nous avons devant nous au moins dix ans de travail acharné pour faire de la question productive et industrielle un des points de rassemblement du pays.
Les Français ont vécu la crise dans leur chair. Avec 63 000 faillites par an (40 000 en temps normal), les dégâts sur les territoires sont considérables. À côté de métropoles en croissance, on voit des zones de décroissance que les Français vivent comme une sorte d’abandon politique. Cela se traduit par les votes pour le Front national dans toutes les petites villes et les périphéries des grandes villes et métropoles. Cet abandon est d’abord économique et industriel. Cette France qui a besoin de travailler, qui veut travailler, a bien compris que son modèle social (éducation, santé, protection sociale) ne pourra être financé qu’avec des bases économiques puissantes. Là sont les ferments d’un compromis social historique que nous pouvons nouer dans la période si difficile, si dépressive que nous traversons.
Tous les pays européens adressent leurs marchés publics à leurs PME… sauf la France où sur 100 milliards de marchés publics (130 000 acheteurs publics), 3 milliards seulement sont passés à travers l’UGAP, une centrale d’achat à 98 % made in France. Qu’attend-on pour viser les 100 % ? Il suffirait de demander aux acheteurs publics de passer par une centrale d’achat où on prioriserait l’industrie française pendant cinq à dix ans. 100 milliards pour les PME et pour l’industrie française qui produit sur le territoire national, voilà qui ne se refuse pas !
Jean-Michel Quatrepoint évoquait l’extraterritorialisation du CAC 40. Les questions de la financiarisation de l’actionnariat et de son internalisation peuvent être parfaitement résolues si on décide d’utiliser les « fonds de pension à la française » que sont les 1500 milliards d’épargne nationale investis dans l’assurance-vie. 80 % partent dans la dette publique de France et d’autres pays européens, 4 % seulement dans la détention d’actions. Décidons de prendre et d’aligner, comme le font tous les grands pays industriels (notamment le Japon), les fonds d’investissement, les grandes instituions de collecte prévoyance et d’épargne nationale et les grandes entreprises d’un pays ! C’est ce qu’avait commencé à faire René Ricol : il avait fait le tour des caisses de retraite, des mutuelles, leur demandant combien de milliards elles étaient capables de sortir pour les mettre en actions, comme actionnariat de référence dans l’ensemble des entreprises du CAC 40. Avec un actionnariat de cette nature, ni public ni totalement privé, sorte de fonds d’investissement patriotique, nous ne verrions pas le PDG de Total renoncer, nous ne verrions pas la prise de contrôle par le Suisse Holcim du français Lafarge, nous n’aurions eu ni l’affaire Alstom ni l’affaire Péchiney et nous aurions pu recapitaliser ou faire bouger Eramet.
On peut imaginer une politique patriotique avec des acteurs publics et privés. Elle pourrait d’ailleurs se décliner dans de nombreux secteurs comme le droit du travail et le sujet du compromis dans l’entreprise (je suis frappé de voir à quel point on n’arrive pas à discuter de ces questions). On peut parfaitement aujourd’hui imaginer de rassembler les forces productives. On le fait dans des entreprises en difficulté et dans des entreprises qui ont besoin de se relancer. Je me souviens avoir participé avec M. Carlos Gohsn à la négociation de l’accord de compétitivité il y a trois ans avec des syndicats qui ne voulaient pas signer un accord sur une modification des horaires de travail (qui augmentait le temps de travail) et un gel des salaires attaché, ce qui n’est pas facile à faire accepter dans une entreprise comme Renault où la tradition sociale est très forte, en particulier à la CGT automobile. J’ai demandé au président de Renault quelles contreparties il offrait à ses salariés à qui il demandait beaucoup d’efforts. Il a proposé la relocalisation sur le sol français de plusieurs centaines de milliers de véhicules en contrepartie d’efforts de compétitivité, proposition propre à satisfaire des salariés qui craignaient que les usines françaises ne ferment les unes après les autres. Et nous avons réussi cette négociation. Je me souviens être entré sur le prix de la Clio fabriquée à Bursa en Turquie et à Flins et sur la manière de faire des arbitrages avec un pourcentage précisé dans l’accord. Si je me suis investi en tant que ministre de l’économie dans ce type de négociation (effort collectif pour la performance/partage), c’est qu’il n’est pas spontané en France. Renault a relocalisé 250 000 véhicules. Une partie de la Nissan micra sera fabriquée en France et, surtout, plusieurs milliers d’emplois, dont des CDI, ont été créés par Renault. Nous pourrions généraliser cette attitude d’échange et de bonne volonté dans de nombreux cas et surtout imaginer un droit du travail qui construise l’union des forces autour de l’appareil productif et de la puissance industrielle de la France. Je crois que les Français y sont prêts. Il suffit d’offrir des contreparties aux salariés au lieu de les culpabiliser en leur disant qu’ils gagnent trop et qu’ils ont trop d’avantages.
La discipline dont parlait Louis Gallois passe par le leadership, c’est-à-dire que les dirigeants politiques de ce pays doivent tenir ce langage à l’unisson. Ils doivent s’unir autant qu’ils le peuvent pour faire prospérer cet état d’esprit et le mettre en pratique quand ils sont au pouvoir. Et l’opposition doit soutenir ce type de pratique. Avec cet état d’esprit nous pouvons faire progresser notre pays et le remettre sur le bon chemin.
Certes les obstacles ne sont pas minces.
Jean-Pierre Chevènement a évoqué l’importante question de la monnaie. Aujourd’hui, nous procédons par réévaluation ou dévaluation internes entre la France et l’Allemagne. L’Allemagne, avec ses 248 milliards d’excédent commercial, devrait augmenter ses salaires de 15 % et la France, avec ses 50 milliards de déficit, devrait baisser ses salaires (de combien ?), comme l’ont fait l’Espagne et l’Italie ? Nous voyons bien que c’est absurde et que cela ne peut fonctionner. Il va falloir que les dirigeants politiques français et allemands soient capables de regarder les choses en face et de faire preuve de génie créatif, ce qu’on appelle « l’ingénierie politique ».
Il faut parler aussi des questions liées à l’obsolescence du traité de Rome ou plutôt l’obsolescence de l’interprétation qu’en donnent les institutions européennes (je parle de la Commission et de ses pouvoirs propres en matière d’aides d’État comme de la Cour de justice des communautés européennes qui est pour moi un pouvoir totalement usurpé et antidémocratique).
Louis Gallois dans son rapport proposait la repolitisation des décisions sur le terrain de la concurrence. Il n’est pas abusif de dire qu’aujourd’hui il serait impossible de refaire Airbus à droit européen existant. Je préconise qu’on fasse des champions internationaux, non pas entre européens parce que la Commission l’empêcherait par des lois anti-trust, mais avec des pays émergents. La question du champion est aujourd’hui impossible. C’est pourquoi la France va devoir prendre des initiatives pour renégocier ce droit absurde, obsolète, dangereux. Je me souviens de discussions sur le prix de l’énergie qui était surtaxé pour mettre fin à « une aide d’État indue » dans notre pays.
Dans l’analyse de la compétitivité de notre territoire national interviennent trois facteurs : le prix du travail, le prix du capital et le prix de l’énergie. On sait les efforts qu’il a fallu faire – et qu’il faudra poursuivre – pour rééquilibrer le prix du travail par rapport à l’Allemagne. Le prix du capital fait l’objet aujourd’hui d’une mondialisation et d’une fluidité qui rendent très difficile de mettre des contraintes. Le prix de l’énergie restait notre avantage compétitif. L’Union Européenne est en train de donner le coup de grâce. Nous voyons bien que cette situation n’est plus tenable. Le décrochage des peuples par rapport à l’Union européenne qui est aujourd’hui programmée doit faire l’objet de conséquences politiques que les dirigeants avisés doivent porter sur la place de l’opinion publique européenne.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur le ministre du Redressement productif pour cet exposé roboratif et, somme toute, assez optimiste. Vous faites appel au patriotisme économique mais Thierry Breton a rappelé à juste titre que le patriotisme transcendait les frontières partisanes, si tant est qu’elles aient encore un sens. Malheureusement c’est aussi le cas de l’absence de patriotisme.
Nous pourrions revenir au problème des élites, des grands corps et de ce qu’est devenu l’esprit de service public. Il y a presque cinquante ans, j’avais commis un petit pamphlet intitulé « L’énarchie »[7] qui déjà pointait le risque.
Vous avez parlé du compromis, y compris dans l’entreprise, sujet que va sans doute aborder M. Dehecq.
jean-François dehecq
Ayant commencé à parler d’industrie à l’Élysée en 1962, je me proposais de parler du passé pour éclairer le présent et surtout imaginer le futur. Je pense en effet que quelques valeurs et décisions du passé sont extraordinairement porteuses d’avenir… tout comme certaines idées nouvelles sont totalement archaïques bien qu’elles soient séduisantes et fassent « le buzz ».
Après des interventions aussi brillantes, je dirai simplement que j’ai eu la chance de passer un CAP de tourneur et qu’en travaillant beaucoup j’ai pu entrer aux Arts et Métiers.
Concernant l’industrie, je pense aujourd’hui que ce que je pensais en 1962. Pour moi, l’industrie sert d’abord à faire vivre des femmes et des hommes, idée qui, il y a cinquante ans, n’était déjà pas partagée.
Pour faire vivre des femmes et des hommes il faut gagner beaucoup d’argent. Les actionnaires sont âpres au gain mais il faut avoir le courage de ne pas leur en donner plus qu’il ne faut, une attitude qui a complètement disparu.
Je me suis toujours senti responsable des gens que j’avais embauchés. De 1962 à 2007, je n’ai pas fait de gros licenciements. Mais il est vrai que lorsque je fermais une usine pharmaceutique je reclassais dans l’agroalimentaire ou la production de fleurs les salariés qui avaient l’habitude de faire des pastilles Valda.
On me dit que le monde a changé. Mais on m’a toujours expliqué que j’échouerais… J’ai donc rompu avec les structures de tout poil, patronales entre autres et, observant ce qui se passe dans une entreprise, j’ai compris qu’on peut avancer si on fait avancer le corps social et s’il y a dans l’entreprise des gens investis qui se sentent partie prenante. J’ai acheté, en 1973, une entreprise de 10 millions de francs de chiffre d’affaires, que j’ai laissée en 2007 à 35 milliards d’euros de CA. Elle était devenue la première capitalisation boursière de la Bourse de Paris en doublant progressivement tous les actionnaires qui étaient au départ dans la maison, ce qui m’a valu quelques ennemis. Cette expérience, me semble-t-il, me donne toute légitimité à parler de l’industrie.
J’étais grouillot en 1962 à l’Élysée mais c’était sous la présidence du général de Gaulle. Je suis et resterai gaulliste jusqu’à la fin de mes jours. En 2009, terminant mes fonctions dans l’industrie j’ai pris avec plaisir la présidence des états généraux de l’industrie. À cette date je n’avais plus entendu parler de politique industrielle depuis Pompidou, sauf en 1982-83 quand Jean-Pierre Chevènement était ministre de l’Industrie. Ensuite on n’a entendu parler d’industrie que pour annoncer la fermeture du ministère de l’Industrie expliquant qu’il fallait tout privatiser et que l’État n’avait plus à définir la moindre politique industrielle, laissant ces sujets aux grands seigneurs du libéralisme et à ceux qui savaient comment on travaillait… J’observe que lors de sa première campagne électorale, M. Sarkozy n’avait pas parlé d’industrie, pas plus que ses prédécesseurs.
En 2009, la crise a changé la donne. Cette crise était tellement grave qu’on s’avisa de la nécessité de consulter les acteurs, d’où l’initiative de ces États généraux de l’industrie, que l’on doit à un syndicaliste notoire et au Président de la République. Il s’agissait de dresser un état des lieux (afin d’avoir les « vrais » chiffres) et de fournir des éléments permettant de redéfinir une politique industrielle. « Tout le monde » était invité à s’exprimer : des syndicalistes, au même titre que des chefs d’entreprises (en particulier les syndicats professionnels de branches) et des représentants de l’État. Les politiques souhaitaient voir des recommandations sortir rapidement de ces États-généraux. Une dizaine de groupes de travail furent installés à Paris mais, très vite les « provinciaux » (le mot convient pour des États généraux) se sont investis dans ces travaux. Très rapidement, 5000 personnes travaillaient dans cette optique, avec une espèce de « tripartisme » dès le départ.
Des rapports ont été publiés[8] où il apparaît
– que la France connaît un gros problème de productivité industrielle. Dans l’enthousiasme des États généraux, il a été décidé à l’unanimité de faire 25 % de plus en 2015.
– qu’il est nécessaire de pérenniser l’emploi à long terme. Je fais remarquer qu’on avait mis sur le compte de la « désindustrialisation » de la France l’externalisation généralisée des services des entreprises. La comptabilité, par exemple, d’abord externalisée vers des Français, est maintenant confiée à des Indiens ou des Malaisiens, ce qui ne facilite pas les paiements à temps et à terme pour les sous-traitants.
– que la balance commerciale, catastrophique, devait être rééquilibrée, hors énergie, à partir de 2015. Nous y sommes presque.
– qu’il fallait augmenter la compétitivité des entreprises. Nous préconisons d’y consacrer un minimum de 80 milliards.
Je note que le « Rapport Gallois » fut une des meilleures prises en compte de ce qu’avaient fait les États généraux de l’industrie. C’était un hommage rendu aux 5 000 personnes qui y avaient travaillé.
Le rapport préconisait aussi le développement de l’innovation, ce que je répète depuis quarante ans. Le rapprochement de la recherche publique et de la recherche privée avance à pas très lents malgré la création des pôles de compétitivité.
Était aussi pointé un problème de compétence. La formation donnée par l’éducation nationale ne correspond pas aux besoins de l’industrie. Certes il faut former des élites mais il nous manque aussi des soudeurs et, pendant longtemps encore, de très nombreux emplois devront être maintenus dans des industries qui n’appliquent pas la mécanique quantique ! S’il est indispensable de penser les industries du futur, il ne faut pas abandonner les autres. Je pense à l’industrie textile où la recherche progresse aussi (notamment sur les textiles « intelligents »).
Il a aussi été préconisé de structurer les filières. Cela a été fait
En 2010, j’essayais d’expliquer que, politique de droite ou politique de gauche de l’industrie, les Français voulaient surtout des emplois.
Il fut décidé d’actionner un certain nombre de « leviers » :
– Remettre l’industrie au cœur des projets économiques de la France.
– Créer un CNI (Conseil national de l’Industrie), après le succès des États-généraux, afin de pérenniser ces conférences nationales ou circulent les consultations/propositions. On a fait beaucoup de choses mais ça n’a absolument pas marché au niveau de la décision.
– Faire une Europe industrielle. On ne réindustrialisera pas la France si on est enfermé dans un carcan et si on se couche devant tous les avis et décisions de Bruxelles.
– Le « made in France » a été magnifiquement relayé.
– La semaine de l’industrie a été un succès.
– L’insuffisante adéquation entre la formation et les emplois est soulignée par tous. Sur la coopération entre l’industrie, l’Éducation nationale, l’enseignement supérieur, la formation professionnelle, ni la droite ni la gauche n’ont réussi à faire avancer beaucoup les choses. On s’est battu de 2000 à 2010 pour recréer de l’apprentissage. Or la première mesure prise au moment de l’alternance a été de couper l’apprentissage.
– Le développement de l’emploi et des compétences
– Redonner un rôle à l’État actionnaire. Impossible, sous la droite, d’aborder ce sujet ni de dire qu’il existe des domaines dans lesquels il est indispensable que l’État définisse une politique, notamment une politique de l’énergie.
– Une politique de la mobilité
Dans le domaine de la santé, des transports, de l’énergie… il faut que d’un commun accord le rassemblement des citoyens réussisse à participer à la définition de grandes politiques qui vont bouleverser complètement notre vie.
On s’est beaucoup battu sur la médiation interentreprises (loi de 2010) de façon à ce que les grandes entreprises paient dans des délais raisonnables leurs sous-traitants qui sont totalement indispensables. C’est un vrai sujet pour les PME et TPE.
C’est dans les régions que, pour l’essentiel, se passe la création d’emplois. Il avait été préconisé de donner des moyens aux régions. En effet, c’est le bassin d’emploi qui est le cœur du sujet quand on veut parler d’emploi.
Malgré les efforts faits pour simplifier la réglementation, on s’aperçoit que les patrons des petites entreprises craignent toujours une nième nouvelle réglementation. Sans compter la règlementation européenne. Le sujet est toujours autant d’actualité.
Le financement de l’industrie : les États généraux avaient préconisé la création d’une « banque de l’industrie » pour orienter l’épargne vers l’industrie et aider au financement des fonds propres et de la trésorerie des petites entreprises. Les salariés pensent que, l’argent de leur salaire n’étant pas rémunéré par les banques, celles-ci disposent en permanence d’un demi-salaire des Français. Or, à cette époque, les banques renâclaient à prêter aux particuliers et aux entreprises, privilégiant des opérations plus rentables. C’est pourquoi il y a eu les FSI (Fonds stratégiques d’investissement) puis la BPI (Banque publique d’investissement). Il y a eu aussi le Grand emprunt national, en 2010, qui, heureusement a été démultiplié et sauvé.
Le rapport annuel 2011 de la Conférence Nationale de l’Industrie s’intitulait « Ensemble réindustrialiser la France pour la croissance et l’emploi ».
« Le durcissement de la crise rend l’action plus difficile, elle rend les décisions plus urgentes. Le poids de l’histoire et la résistance aux changements s’opposent aux mutations rapides. Elles ne semblent être possibles que dans des situations de rupture. Rien ne sera possible si les différents acteurs, au-delà du CNI, ne trouvent pas la voie pour travailler ensemble. Ceci suppose beaucoup d’écoute, de respect réciproque, de capacité de chacun à remettre en cause ses idées. Volonté d’être créatif pour avancer vers un mieux vivre ensemble. » écrivions-nous en 2010.
Et après ?
Les partenaires sociaux, au CNI, sont toujours là, j’étais hier avec eux. Les parties prenantes qui peuvent faire bouger l’industrie sont les patrons et les centrales syndicales, sans exception… La force d’un syndicat ne se mesure pas au nombre de ses adhérents mais à sa capacité à mobiliser. Quand un syndicat est capable d’immobiliser le pays c’est peut-être discutable mais on ne peut pas dire qu’il ne représente rien. Quand on passe au vote dans une usine, les salariés votent pour des syndicalistes, même s’ils n’ont pas leur carte. La représentativité du monde syndical est donc quelque chose de majeur pour faire avancer une entreprise. Le corps social d’une entreprise est constitué des salariés et de tous les syndicats au moins autant que des cadres. Il faut donc que tous ces partenaires se mettent autour d’une table pour chercher à définir ce que devrait être la politique industrielle pour la France dans les domaines d’intérêt national dont je parlais (énergie, transports, mobilité) et dans l’ agroalimentaire où on ne peut pas dire qu’on n’a pas la matière première, pas plus que dans l’industrie du bois… et ce sont des secteurs qui font vivre du monde !
La devise du CNI est que quand on y rentre, on laisse à l’extérieur tous ses préjugés, tous ses tabous, toutes ses certitudes et on essaie de rechercher des convergences qui permettent d’avancer. Ce n’est que lorsque ces convergences possibles apparaissent que commencent des négociations constructives sur des projets concrets qui deviendront peut-être possibles. Mais il faut respecter les visions des uns et des autres qui n’ont pas les mêmes intérêts ni les mêmes visions. C’est avec tout cela qu’on essaie de trouver le moyen de bâtir un corps social qui permette d’avancer.
Aujourd’hui, des « experts-comptables » sont placés à la tête des entreprises sous prétexte qu’il faut créer de la valeur. Sans vergogne, ils distribuent 50 % ou 60 % de dividendes tout en affirmant qu’il n’y a pas d’argent pour faire de la recherche, ni pour investir, ni pour augmenter les salaires… Or il faut parler ensemble, c’est-à-dire respecter un corps social dans lequel le portier a la même importance que le PDG. Croyez–en mon expérience, on peut le faire et devenir la première capitalisation boursière de la bourse de Paris, multiplier par 19 en 20 ans la valeur de l’action et attirer les financiers qui vous amènent à plus de 100 milliards ! C’est une question de mentalité et c’est beaucoup de moralité (solidarité dans l’entreprise, respect de l’autre…). Il faut y revenir. Ce n’est pas facile. Le métier du politique n’est pas facile. Le métier du patron n’est pas facile non plus, surtout quand on passe un peu plus de temps avec ses salariés qu’avec les analystes financiers. Il n’est pas facile de s’affronter avec les difficultés du temps mais si on ne le fait pas, le système explosera bien avant qu’on ait eu le temps de générer tous les grands projets d’avenir que j’ai beaucoup défendus et pour lesquels je me suis beaucoup battu.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, M. Dehecq ; nous nous souvenons, Monsieur le président, de ce que vous avez fait de Sanofi. Vous m’aviez dit un jour : « Je suis gaulliste mais industriellement je suis dans l’école de Guillaumat qui a été l’homme que nous savons ». Pour moi cela avait une signification. Je vois que vous reconnaissez la diversité des intérêts dans l’entreprise. Je vous sais gaulliste, je n’irai pas, de ce point de vue, jusqu’à dire que vous êtes marxiste dans l’analyse.
Avant de lancer le débat je voudrais rappeler ce qui a marqué ces échanges : le problème des élites, le problème culturel (deux problèmes liés), le problème de l’ « ADN » de notre industrie, le problème du patriotisme qu’on peut qualifier d’ « économique » mais qui nous renvoie à de Gaulle.
J’aurais aimé dire à Arnaud Montebourg que je ne partage pas tout à fait son idée de l’histoire de France. Certes il y eut Colbert et l’État, sous Louis XIV. Mais la France va perdre la guerre d’hégémonie maritime et mondiale contre l’Angleterre, en trois temps : la guerre de Sept ans, la guerre d’indépendance des États-Unis, que nous gagnons aux côtés des Américains, et les guerres de la Révolution et de l’Empire. L’Angleterre, qui a fait sa révolution un siècle avant nous, a une petite avance en matière d’industrialisation. Le deuxième fait majeur est l’unité allemande qui nous prend complètement à l’improviste : 1870-71 est une commotion. Notre réaction – nous sommes alors un pays de rentiers – est d’investir notre épargne en Russie et de nous tailler un Empire colonial de « compensation » en Afrique et en Indochine alors que les Allemands mettent leur argent dans l’industrie « Usines construites comme des cathédrales », écrivait le général de Gaulle dans « La discorde chez l’ennemi »[9].
Le général de Gaulle a ramassé la France dans les conditions désespérées que nous savons. Il faut noter, après la période de la Deuxième guerre mondiale et de la Résistance, le programme du CNR (Conseil National de la Résistance). Et il y a tout ce que de Gaulle porte, y compris après 1958, autre moment difficile. Quel esprit d’entreprise ! Quelle vision ! Quel sens de l’avenir ! C’est cela qui me paraît être important. Et surtout quelle capacité de rassemblement ! En effet, même si de Gaulle n’a pas toujours réussi à rassembler tous les Français, il a au moins essayé. En tout cas, je crois qu’il faut maintenir son appel à l’effort.
Ce que nous a dit M. Dehecq est tout à fait fondamental. Il ne peut pas y avoir de bon dialogue social si on ne comprend pas les données du monde dans lequel nous vivons
Débat
Nicolas Robinet
Vous avez beaucoup parlé de « patriotisme », qui, comme « patron », vient de pater, le père. Aussi, il me semble qu’il n’y a pas de vrai patron qui ne soit patriote. Si on m’avait demandé des noms, j’aurais cité les vôtres parmi les premiers, Messieurs. Merci pour tout cela.
Ce qui fait défaut en France, c’est la culture patriotique. Elle n’est pas assez relayée par ceux qui parlent aux Français, c’est-à-dire les media, pour que les citoyens l’imposent aux politiques qui eux-mêmes l’imposeraient à l’industrie.
Quelle est selon vous l’importance des media pour transmettre cette culture patriotique ?
Je suis attaché de presse d’un media sur Internet « le cercle des volontaires » où on essaie de travailler à tout cela, en transmettant ce genre de valeurs et d’informations.
Jean-Michel Quatrepoint
Les choses ont changé pour les media il y a un quart de siècle, comme elles ont changé pour le pays, pour les managers, pour le système des élites. Il y a eu un changement de paradigme et les media ont épousé le paradigme dominant. Ils n’ont pas analysé tout de suite ce qui se passait et aujourd’hui ils sont engagés. S’y ajoute un phénomène économique : les media vont mal en France et ils n’ont plus les moyens de financer des enquêtes lourdes. Tous les media aujourd’hui ont basculé dans les mains de groupes industriels. Il n’y a plus d’industriels de la presse. On pouvait penser ce qu’on voulait d’Hersant mais il était un grand industriel de la presse. De même Mme Beytout, qui possédait Les échos, était une vraie patronne de presse. Mais progressivement tous ces journaux ont été repris par des industriels qui en font des outils d’influence.
Il se trouve que j’ai commis un ouvrage intitulé « Alstom, scandale d’État[10] ». Pendant quelques années, je suis allé – gracieusement – faire le guignol à LCI pour animer les talk-shows, les débats économiques… La rédaction de LCI m’avait promis d’évoquer la sortie de mon livre mais, deux jours avant l’émission prévue, elle téléphonait au service de presse de Fayard pour expliquer qu’il n’était pas possible d’évoquer mon livre car il parlait de Bouygues (alors que mon propos, vis-à-vis de Bouygues, n’était pas du tout critique).
- Drahi, quand il rachète Libération, ne le fait pas pour faire œuvre de charité mais pour rendre service au Président de la République et parce que, pour lui qui est endetté à hauteur de 57 milliards, 15 millions ne représentent rien. Que fait Drahi à l’Express, L’Expansion ? Que font ces contrôleurs de gestion qui ne comprennent rien à la presse et qui ne connaissent rien de la presse ? Ils appliquent des méthodes de gestion transversales qu’ils ont apprises dans les écoles de gestion. Donc, les journalistes, à la limite, ne servent plus à grand-chose. C’est comme la documentation. Ils représentent des coûts (et des m2), on les supprime, on externalise. Et ces journaux se vident de leur substance. Les media américains ont aussi des problèmes mais ils bénéficient de la langue anglaise et de la puissance des États-Unis. On peut ne pas être d’accord avec le New York Times mais les enquêtes de ce journal sont fouillées parce qu’il met sur le coup pendant trois mois quatre personnes qui ont les moyens de faire de l’investigation. En France, nous n’avons pas les moyens. À la télévision, quelques émissions font un vrai travail. Mais pour le reste c’est l’instantanéité. La presse écrite va très mal. Il en va de la catégorie des journalistes comme des autres secteurs : c’est la disparition des classes moyennes. Il y a le upper level (1 %) et le reste, les soutiers, des stagiaires le plus souvent, notamment à la télévision, qui sont là pour organiser les rendez-vous pour le upper level. Il est navrant de voir de jeunes journalistes de talent contraints de quitter le métier. Il n’y a plus de place, c’est dramatique. Et je crains que ça ne s’améliore pas.
Il est quasiment impossible aujourd’hui de créer un media car l’argent ne s’investit plus dans les media sauf pour avoir de l’influence. Si vous voulez créer un media pour dire ce qu’on vient de dire aujourd’hui, vous ne trouverez pas un sou.
Grégory Baudoin
Tous les discours que nous avons entendus jusqu’à maintenant étaient centrés sur la macro-économie. Mais ce qui fait aussi l’économie de la France, ce sont aussi les microentreprises. Comment les petites entreprises comme la mienne, qui ne développent que 7000 à 8000 euros de chiffre d’affaires par mois, se retrouvent-elles là-dedans ? Nous travaillons 70 heures par semaine pour ne gagner que 1050 euros nets par mois. En devenant artisan taxi je ne pensais pas qu’il serait aussi difficile de créer cette entreprise, juste pour m’asseoir derrière un volant. Je suis aujourd’hui dans une position totalement schizophrène : je suis pour l’impôt, pour la réglementation mais, en même temps, je me demande comment libérer ces entreprises pour leur permettre d’entreprendre.
Dans la salle
Ma question s’adresse à M. Arnaud Montebourg.
Monsieur le ministre, vous avez mené bien des batailles pour essayer de récupérer le patrimoine industriel français, dans des conditions difficiles et pour des résultats décevants, de votre aveu même. Chaque jour en France, une usine ferme et 700 personnes basculent sous le seuil de pauvreté.
Vous vous en prenez à juste titre à l’Union européenne. Je pense que vous faites notamment référence aux articles qui interdisent d’interdire les délocalisations. Vous demandez une renégociation des traités, ce que chacun demande depuis trente ans sans effet. M. Hollande avait lui-même proposé une renégociation du TSCG avant son élection mais on n’a rien vu venir. Un article précise que l’unanimité des 28 États membres est nécessaire pour changer la moindre virgule dans les traités. Il en résulte qu’une fois qu’un article est ajouté au traité on ne peut plus le retirer. C’est statistiquement et politiquement impossible.
Comment, pratiquement, pouvez-vous appliquer le patriotisme économique en France sachant que nous sommes pieds et poings liés aux traités de l’Union européenne ?
La grande absente de ce débat est la question du référendum britannique sur le Brexit. Quid du Frexit ?
bastien gouly
Je partage le point de vue de Jean-Michel Quatrepoint sur l’univers des media, d’autant plus que ceux qui abordent le sujet du patriotisme économique, comme Natacha Polony, sont taxés de fascisme et on parle à leur égard de combattants d’arrière-garde.
Le problème ne vient-il pas du fait que nos politiques sont orientées davantage vers les très grandes entreprises que vers les PME ? Le CICE n’a pas été voulu par les PME qui ne disposent pas forcément de l’expertise comptable qui leur permettrait de bénéficier du CICE.
On a l’impression que le principal interlocuteur du gouvernant est le Medef et que les lois ne sont pas du tout orientées vers les PME qui sont pourtant les premiers agents recruteurs du pays.
thierry breton
Ce que vous dénoncez est une réalité que vivent quotidiennement toutes les PME. Malheureusement, en France, nous n’avons pas cette culture. Il nous faut progresser sur ce sujet.
On a beaucoup parlé de l’Allemagne où les PME font partie intégrante de l’écosystème et ont voix au chapitre.
Il est vrai que quand on parle de patriotisme économique ou de défendre les intérêts de la France, comme je l’ai fait, moi aussi, on passe pour des ringards. Nous voyons pourtant que les entreprises allemandes font bloc : Quand il s’agit de défendre les intérêts de l’Allemagne, Mme Merkel réunit tous les responsables d’entreprises et il en sort une position alignée (c’est ce que nous avons tenté), avec Louis Gallois, sur certains sujets mais nous étions peu suivis. De même aux États-Unis. Dans ces pays, German Hague, USA inc, sont des idées modernes alors que nous montrons une sorte de réticence à demander ne serait-ce que la réciprocité. J’ai toujours essayé, en tant que ministre, d’appliquer ce principe de base de réciprocité et je me suis très souvent senti isolé. J’ai été l’un des rares à appuyer la posture d’Arnaud Montebourg quand il a voulu défendre les intérêts de la France, y compris les intérêts stratégiques. L’absence de cette culture est extrêmement dommageable pour notre pays.
De même il est très difficile d’avoir une posture unique au niveau européen. Il a été extrêmement difficile de s’entendre en Europe sur le sujet essentiel de la protection des données. Aujourd’hui encore les pays d’Europe du Nord y sont totalement opposés et font le lit des intérêts américains. Il faut maintenir ce combat dont dépendent les emplois de demain.
arnaud montebourg
Vous avez posé une question fort pertinente sur l’approche juridique des traités européens. Le caractère irréversible de l’accord, s’il avait été donné, fut un argument utilisé par les tenants du « non » au traité constitutionnel européen. J’avais à cette époque défendu le « non » pour de nombreuses raisons, ce que je ne regrette nullement. Si on se contente d’une approche juridique, nous sommes en effet dans la situation que vous décrivez. Si on regarde l’approche politique, vous observerez que les institutions européennes, même les plus conservatrices ont été amenées un jour ou l’autre à ne pas respecter le traité. Aujourd’hui, la question n’est pas juridique mais politique. En Europe les peuples sont entrés en rébellion contre ce système non démocratique qui leur impose des choix qui ne sont pas les leurs : la question de l’austérité, l’obsession de la dette publique, au détriment du chômage… Il ne s’agit pas de se désintéresser de la question des équilibres financiers, néanmoins ce ne peut être au prix de la destruction de capital, des files d’attente aux pôles pour l’emploi de la jeunesse. L’Union européenne a imposé des orientations aux États membres par une interprétation partiale des traités qui a été reprise dans les nouveaux traités. C’est ainsi qu’a été intégrée dans le corpus juridique une vision de l’économie qui a amené l’Union européenne à appliquer des règles et non plus à faire des choix. L’opposition entre la règle et le choix est ce qui marque la différence entre les cultures politico-juridiques allemande et française.
La situation nous amène aujourd’hui à ce que des partis politiques qui sont aux portes du pouvoir dans un grand nombre de pays européens veulent détruire l’Union européenne. Le souffle du buffle dans la nuque de l’Union européenne est-elle de nature à stimuler l’imagination de ses responsables ? Pour ma part je pense que nous allons avancer avec des positions unilatérales. Je cite le discours du Bourget : « Voilà pourquoi, en janvier 2013 [c’est tout proche, ce sera quelques mois après le rendez-vous du 6 mai], si les Français m’en donnent mandat, je proposerai à la chancelière d’Allemagne l’élaboration d’un nouveau traité franco-allemand ». ça a duré un mois ! Et c’est d’ailleurs le cas pour tous les présidents français depuis des décennies. On s’envole pour une visite d’allégeance et des génuflexions à Berlin et à Bruxelles et au retour les promesses de campagne sont anéanties. Ce n’est pas un problème humain et personnel, c’est un problème systémique et politique. Les explications sur ce sujet seront rudes, en particulier face aux Européens amoureux de leur œuvre idéelle. Mais il faudra en passer par là. Nous n’avons plus le choix, nous ne pouvons pas continuer à vivre dans ce supra-État tel qu’il est. Aux juristes qui nous opposeront un argumentaire nous parlerons des peuples européens, des États-nations, de leur destin, de leur avenir, ce qui a plus d’importance que toute autre considération.
La méthode Cameron n’est pas mauvaise !
Jean-Pierre Chevènement
Me plaçant d’un point de vue un peu différent, en tant qu’ancien ministre de l’Intérieur, je vois l’extrême difficulté où nous nous trouvons de faire adopter des réglementations européennes, sur les armes par exemple. Car le processus de dilution de la décision a dépassé depuis très longtemps le seuil critique. Il n’est plus possible d’obtenir une décision simple sur des sujets vitaux. Au prochain attentat on se demandera comment des kalachnikovs ont pu être importées de Tchéquie ou d’ailleurs. C’est effrayant.
J’approuve ce que vient de dire Arnaud Montebourg. Il faudra dans un souci positif faire avancer les choses.
Je me tourne vers Louis Gallois pour répondre à la question posée sur le CICE et les PME.
louis gallois
À propos des PME, je citerai un exemple qui me paraît caractéristique de situations bureaucratiques françaises. J’ai visité une entreprise qui fabrique des panneaux d’isolation utilisant le chanvre et qui emploie neuf salariés. Cette entreprise a appris le 8 janvier 2016 par un de ses clients que ses produits n’étaient plus homologués depuis le 1er janvier. Personne ne l’avait prévenue que la réglementation de sécurité ayant changé il fallait une nouvelle homologation. Le patron s’est précipité au CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment). On lui a promis d’homologuer son produit… mais en décembre en raison du plan de charge de l’établissement. Il est donc allé se faire homologuer en Finlande, où cela a pris quinze jours. Ceci est symptomatique du point essentiel pour les PME, celui de la simplification de nos procédures et de la « déprocédurisation » des activités. En effet, les patrons de PME passent leur temps à gérer ce genre de choses.
On pourrait parler, comme l’a fait Arnaud Montebourg, de la politique d’achats publics. Les hôpitaux français achètent pour 18 milliards d’euros par an, il n’y a pas au ministère de la Santé une personne qui s’occupe de la politique d’achats des hôpitaux. D’un point de vue industriel, je pense que les PME pourraient accéder à ce type de marché pour un certain nombre de produits.
Les problèmes des PME sont solubles mais il faut les prendre là où ils sont c’est-à-dire procéder à une simplification, une « déprocédurisation » (je ne dis pas « déréglementation » car il faut des règlements). J’ajoute que les procédures sont telles que les PME n’accèdent pas aux aides publiques parce qu’elles sont trop compliquées. Ce n’est pas le cas du CICE pour lequel il suffit que les entreprises aient recours à un expert-comptable sérieux. Mais accéder aux aides européennes est impossible pour une PME. Le dossier est d’une épaisseur considérable et un patron de PME n’a aucune chance d’y accéder. Il serait intéressant de savoir combien de PME ont accès au plan Juncker.
gérard pierre
Ancien universitaire, j’ai fait toutes mes études en utilisant la mécanique quantique. En 2000, on produisait déjà dans le monde plus de transistors que de grains de riz. Dans combien de temps y aura-t-il plus de quantas énergétiques que de grains de riz et que de transistors ?
Il faut revenir à des choses essentielles. Le développement industriel qui a eu lieu au 19ème siècle, principalement en Angleterre, a suivi le développement de la machine à vapeur. Pour développer l’industrie il faut bien évidemment de l’énergie abondante et bon marché. C’est la condition essentielle. Or la loi de transition énergétique votée dernièrement propose de diminuer la consommation d’énergie en France d’une façon importante, de réduire la production d’électronucléaire de 75 % à 50 % et de développer les renouvelables intermittents. Il faut rappeler qu’EDF est obligée de racheter les renouvelables intermittents à 82 euros le mégawatt/heure et que dans le même temps, elle doit vendre l’électricité qu’elle produit dans ses centrales nucléaires à 42 euros le mégawatt/heure ! Les renouvelables intermittents se substituent au nucléaire qui, lui non plus, ne produit pas de CO2. On n’est pas surpris de voir qu’EDF a des difficultés.
Pensez-vous que cette loi soit utile pour la France ? N’est-elle pas en contradiction avec les pactes de compétitivité ?
Dans la salle
Éducateur spécialisé, je travaille avec les délinquants, les voyous. Les parents et grands-parents des gamins que nous accueillons (dont certains sont radicalisés) n’ont plus d’emploi depuis des décennies. La question qui se pose aujourd’hui est politique. En quelles promesses le peuple, qui est dans la désespérance, peut-il avoir confiance ?
René pichon-constantini
Je remercie Jean-Michel Quatrepoint pour son réquisitoire. Il serait temps que vous fassiez la différence entre Carlos Ghosn ou Tavarès, qui sont mandatés pour servir les intérêts des actionnaires et un petit chef d’entreprise.
J’apporterai le témoignage d’un chef d’entreprise dont l’entreprise (19 salariés) a été liquidée en 2010. Quand on perd son entreprise, on perd sa femme, ses enfants, sa maison et ses économies. C’était à l’époque où les banques en difficulté avaient été rapidement renflouées. Une banque m’avait lâché sur une traite qui ne passait pas. La deuxième banque a considéré qu’il fallait faire comme la première. J’y ai tout laissé.
Une industrie vertueuse est plutôt une industrie qui structure l’emploi et la recherche. Or dans ce que j’ai entendu il y a une énigme. L’intelligence artificielle est en train de se développer sur la chaine de production et peut-être même dans l’espace de décision. Mais le robot ne paye pas de cotisations sociales et il détruit plusieurs emplois. Il y a donc une désynchronisation entre votre enthousiasme et la réalité de la désespérance des Français. Comment résoudre ce problème ?
Dans la salle
On a parlé de financiarisation des entreprises, avec un capital qui n’est plus un moyen mais une fin. On sait que les entreprises sont pilotées d’après la rentabilité du capital mais la somme des cash-flows ne fait pas le PIB qui est la somme des valeurs ajoutées. Comment pourrait-on inciter voire contraindre les entreprises à piloter selon la valeur ajoutée, y compris l’investissement et les salaires ?
Arnaud montebourg
Les pays les plus créateurs d’emplois sont ceux qui ont investi le plus dans la robotisation. Dans un pays où de nombreuses tâches ne peuvent être réalisées en raison de la cherté du coût du travail, cela permet d’augmenter la productivité, donc de créer des emplois d’ouvriers très qualifiés qui font marcher les robots. La mécanisation n’a jamais empêché la création massive d’emplois. Au contraire, dès lors que la combinaison homme-machine est productive elle permet d’assurer des résultats donc de créer des emplois. Je n’adopterai donc pas la position « luddiste »[11] du 19ème siècle car je pense que les nouvelles technologies peuvent être très efficaces sur le plan économique sans être destructrices d’emplois.
Dans le numérique, des emplois hautement qualifiés (ingénieurs) sont créés, des emplois de services, déqualifiés, disparaissent en plus grand nombre. Dans ce secteur les destructions d’emplois peuvent être plus importantes que les créations.
Il y a aujourd’hui une analyse très fine à avoir sur le phénomène d’ubérisation. En région parisienne, dans le secteur des taxis, des transports, 30 000 personnes exclues du marché du travail et frappées par des discriminations ont accédé à un emploi. Même si le statut des travailleurs Uber n’est pas formidable, il y a un élément positif. Le sujet est de trouver comment garder les éléments positifs en comprimant et en réglant les problèmes attachés à ces nouveaux emplois. Le droit du travail ne traite absolument pas cette question. La question des autoentrepreneurs en situation de dépendance économique doit faire l’objet d’une nouvelle frontière de la créativité politique dans ce pays.
Jean-Michel Quatrepoint
Aux États-Unis, l’auto-entrepreneuriat s’est développé bien avant chez nous. C’est un moyen de compenser la fuite des emplois manufacturiers. Mais l’auto-entrepreneuriat met à mal le système de protection sociale car il n’y a plus la base suffisante pour l’assurer.
Jean-Pierre Chevènement
« Je suis pessimiste par l’intelligence, mais optimiste par la volonté » écrivait Gramsci, citant Romain Rolland. Quand on regarde ce qui s’est passé on peut quelquefois être pessimiste. Mais si on regarde les potentialités qui existent on peut retrouver l’optimisme de la volonté.
Thierry breton
Jean-François Dehecq comme moi avons passé beaucoup de temps à parler aux actionnaires. On peut arriver à les convaincre quand on leur explique que si on ne satisfait pas leurs demandes, c’est dans le but d’aboutir à un meilleur résultat. Il ne faut pas se soumettre à la dictature des représentants des actionnaires.
Malheureusement, en France, nous n’avons quasiment plus que des actionnaires anglo-saxons. On a tué l’actionnariat français. C’est très ennuyeux car il est plus aisé d’avoir ce type de discussion avec des gens avec qui on partage un lien social. La fiscalité a détruit l’actionnariat français. C’est un drame pour nos entreprises et cela rend l’exercice de notre activité extrêmement complexe. Quand j’étais ministre, pour recréer un actionnariat stable, j’avais introduit un système où les petits actionnaires, au bout de six ans pouvaient bénéficier d’exonérations fiscales, afin de les inciter à rester longtemps dans les entreprises françaises. Malheureusement ce système a été considéré comme une « niche » et mes successeurs l’ont supprimé. Au bout de cinq ans on a dit aux petits actionnaires qui avaient voulu bénéficier de cette disposition que la loi avait changé.
Il faut absolument recréer cet affectio societatis entre l’actionnariat et les chefs d’entreprises.
Louis gallois
À propos de l’actionnariat il faut aussi stigmatiser Solvency II. La réglementation prudentielle concernant les compagnies d’assurances a fait que celles-ci ne peuvent plus investir dans les entreprises en fonds propres. Cela a entraîné le retrait de centaines de milliards de la bourse et nos entreprises, sous-cotées, sont disponibles pour des rachats par d’autres.
Reste le problème du chômage de longue durée. Même si la croissance, l’activité économique reprennent on ne va pas embaucher les chômeurs de longue durée. Les premiers chômeurs réembauchés seront ceux qui sont le plus près de l’emploi. Les 1,5 million de chômeurs de longue durée répertoriés risquent de ne pas retrouver d’emploi. C’est un sujet en tant que tel. J’ai posé la question d’une négociation interprofessionnelle sur le chômage de longue durée pour que les partenaires sociaux s’occupent de ce sujet. Je n’ai obtenu qu’un succès d’estime. Aucune organisation syndicale, aucune organisation patronale n’a manifesté de véritable intérêt pour ce sujet qui ne les concerne pas directement, estiment-elles.
Jean-Pierre Chevènement
Pour répondre à Gérard Pierre s’agissant de la transition énergétique, il va de soi que, pour ma part, je n’aurais jamais voté pour cette manifestation, dans un secteur clé de notre avenir, de l’obscurantisme moderne.
Merci à vous tous.
[1] Le Décrochage industriel, Elie Cohen et Pierre-André Buigues, éd. Fayard 2014
[2] Commissariat général à la stratégie et à la prospective, organisme de réflexion, d’expertise et de concertation placé auprès du Premier ministre.
[3] 4ème révolution industrielle basée sur l’Internet des objets et les systèmes cyber-physiques, avec la mise en place d’usines « intelligentes ».
[4] Lancée le 18 avril 2015, l’Industrie du futur répond à un impératif : moderniser notre appareil productif et accompagner nos entreprises industrielles dans la transformation de leurs modèles d’affaires, de leur organisation, de leurs modes de conception et de commercialisation par le numérique
[5] Association française des entreprises privées.
[6] École privée d’informatique gratuite créée et financée par Xavier Niel. Admission sans condition de diplôme. Ouverte 24/7, sans professeurs ni cours (pédagogie de pair à pair). Le diplôme délivré n’est pas reconnu par le système éducatif français.
[7] L’énarchie, ou les mandarins de la société bourgeoise, publié sous le pseudonyme de Jacques Mandrin (alias Jean-Pierre Chevènement, Dominique Motchane et Alain Gomez), éd. de la Table ronde, 1967
[8] http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/104000021.pdf
[9] La discorde chez l’ennemi, Charles de Gaulle, éd. Berger-Levrault, 1924
[10] Alstom, scandale d’État, Jean-Michel Quatrepoint, éd. Fayard, 2015
[11] Du nom d’un certain John Ludd, ouvrier anglais qui détruisait les métiers à tisser.