Une VIème République: oui, mais laquelle ?

figaro-voxjpg-110289

Une VIème République: oui, mais laquelle ?

FIGAROVOX/TRIBUNE – Marie-Françoise Bechtel se prononce en faveur d’une VIème République : selon elle, la Vème a été vidée de son contenu par les traités européens.


Marie-Françoise Bechtel est députée (République Moderne), vice-présidente de la Commission des lois et ancien membre et Rapporteur général du Comité Vedel pour la révision des institutions (en 1992-1993).


On sent monter aujourd’hui dans notre pays des aspirations démocratiques qui mettent en question, au-delà de la pratique des institutions, leur fondement même: celui de la Ve République. Convient-il alors de franchir le pas et de proposer ce que serait demain une VIe République?

Il faut d’abord s’entendre sur le diagnostic.

C’est d’abord celui d’une insuffisante participation des citoyens, désormais plus éduqués et plus informés notamment à travers le développement des réseaux sociaux, comme le soulignait dans une récente tribune Thierry Mandon. Ce constat est partagé par des esprits animés d’inspiration différente, les uns mus par une vision libérale des institutions et de la société, tel P. Rosanvallon, les autres au contraire par une croyance dans les mouvements sociaux progressistes, tels JL Mélenchon. Mais il repose sur un même présupposé, celui de la prédominance de la forme sur le contenu: donnez-nous des institutions plus démocratiques et la politique s’en portera mieux. La politique mais quelle politique? Faut-il penser qu’une meilleure écoute des citoyens conduira nécessairement sur la voie de politiques plus proches de leurs aspirations? Le référendum de 2005 sur le projet de Constitution européenne, exemple même d’une participation citoyenne active, d’une mobilisation du militantisme politique comme du rôle majeur des sites interactifs est là pour en faire douter. Ou alors veut-on se contenter de pousser les citoyens à une participation sans conséquence?

En réalité on ne peut pas faire porter aux institutions les poids du contenu de la décision publique. Elles ne sont pas faites pour cela. En témoignent les deux septennats de F. Mitterrand qui ont donné au pays une orientation à travers des choix économiques et sociaux ou internationaux très différente des mandats du général de Gaulle, de G. Pompidou et de V. Giscard d’Estaing.

Ce qui est en question n’est donc pas uniquement la forme démocratique d’expression du peuple ou de ses représentants. Ce sont également et surtout les choix que les institutions permettent ou ne permettent pas d’offrir au peuple souverain: en somme une alternance véritable.

De ce point de vue, la tâche la plus urgente serait d’en finir avec la 5° République bis. Depuis la réforme dite du quinquennat intervenue en 2000, nous pouvons aujourd’hui le constater: nous avons bel et bien quitté la 5° République ; plus exactement nous en avons renié les vertus et accentué les dérives sur fond de retour à ce «régime des partis» honni par le fondateur de la 5° République. Régime qui a en réalité atteint son paroxysme avec l’alignement du temps présidentiel et du temps parlementaire. De sorte qu’entre la Vème République et la VIème République nous sommes entrés de fait dans une 5° bis qui ne dit pas son nom: une République dans laquelle le chef de l’Etat, au lieu de définir et garantir les orientations à terme de la politique du pays, comme le veut la lettre de la Constitution, est transformé en un chef d’équipe dont les projets «court termisés» sont relayés par un parti majoritaire qui n’a d’autre alternative que de faire régner une discipline de fer autour du programme présidentiel.

Le régime des partis pagailleux et querelleurs auquel les pères fondateurs de la 5° République avaient voulu mettre fin avec le «parlementarisme rationalisé» s’est donc aujourd’hui transformé en un régime des partis marqué au contraire par une ultra discipline interne autour d’un chef.

Mais il y a pire et c’est là le troisième constat: c’est que les deux grands partis qui monopolisent l’alternance démocratique n’ont jamais été aussi proches dans les grandes orientations qu’ils offrent au pays. Sous des divergences sociétales d’assez faible portée au regard des attentes des Français, c’est un même modèle social-libéral -un peu plus social d’un côté, un peu plus libéral de l’autre- que les partis au pouvoir mettent en place de façon de plus en plus explicite. Le président Hollande revendique aujourd’hui sous une rhétorique adaptée ce tournant libéral, tout comme les dirigeants de l’ex UMP devenu Les Républicains n’affichent plus guère de complexe – là encore autre que rhétorique- pour avoir opéré la liquidation du gaullisme.

Disons-le tout net pour finir: cette convergence historique, matérialisée par le vote commun du traité de Lisbonne en 2008 et du traité dit TSCG en 2012, s’appuie sur le texte constitutionnel. Pourquoi? Parce que des vagues successives de révisions constitutionnelles de 1992 à 2008 ont réduit l’espace de la souveraineté populaire au profit de la primauté du droit européen

C’est pourquoi la première réforme d’une VIème République qui aurait une véritable portée démocratique consisterait à rendre à la souveraineté populaire la place qui lui revient de droit dans la Constitution d’un vieux pays démocratique comme le nôtre. Alors nous aurions un Parlement qui contrôle non seulement l’action de l’exécutif mais aussi le droit façonné à Bruxelles par des instances non élues ; un Parlement qui, en coopération avec le Parlement européen, selon les sujets, dirait ce que doit être ce droit. Car la meilleure manière pour un Parlement souverain de contrôler l’action de l’exécutif c’est encore de s’assurer de sa propre primauté en matière d’édiction de la loi applicable à tous.

Plutôt que de permettre au Parlement de renverser à tout va un gouvernement de toute façon lié par des impératifs extérieurs -comme le montre le vote du budget de la nation négocié à Bruxelles donc sans marge véritable offerte au législateur national- mieux, bien mieux, vaudrait un système lui permettant de décider en amont quel est ce droit extérieur au nom duquel on lui impose des politiques qu’il n’a pas décidées.

Ce serait là la voie d’une démocratie rénovée, d’une République moderne, d’un Etat à la hauteur de son histoire. Ajoutons que cette modification de la Constitution entrainerait nécessairement une renégociation par la France de ses engagements européens devenus incompatibles. La Constitution a en effet une force juridique supérieure aux traités. L’exemple du Brexit montre d’ailleurs qu’il est possible à un grand pays de faire revenir l’UE à la table des négociations.

Alors faut-il une VIème République? Non, s’il s’agit de retourner à un régime parlementaire générateur de désordres dans les institutions, de blocage dans la décision publique à court comme à moyen terme, empêchant de développer une vision de l’avenir de la France. Oui, s’il s’agit de réinventer des institutions garantissant le temps long des grandes orientations, par exemple avec un sexennat ou un septennat – éventuellement renouvelable – un Parlement maître de la loi quelle qu’en soit l’origine, des citoyens dont la participation est organisée par voie de referendum avec la garantie que leur choix ne sera pas ensuite confisqué.

Sur ce chantier, République Moderne appelle tous ceux qui partagent son diagnostic à un travail en commun.

Marie-Françoise Bechtel

http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/06/07/31001-20160607ARTFIG00128-une-vieme-republique-oui-mais-laquelle.php