Le service national ou le civisme en acte

Marie-Françoise Bechtel, députée de l’Aisne, Vice-présidente de République Moderne, était l’invitée de l’émission de France Culture « Sur la route », présentée par Julie Gacon.

 

 

Le samedi 19 décembre, l’émission était consacrée à la question du service national

Verbatim

A propos de la pétition pour le rétablissement d’un service national obligatoire et pour tous

2’30

  • Au lendemain des attentats, trente de mes collègues parlementaires ont signé la pétition pour le rétablissement d’un service national, ils appartiennent pour la plupart au groupe majoritaire mais il y a également au moins six parlementaires de l’opposition. Concernant la pétition citoyenne, les signatures viennent de l’ensemble du territoire et il y a un bon nombre de femmes qui ont signé.
  • Si je trouvais que la suppression du service national à l’époque n’était pas une bonne chose, je ne fais pas partie des gens qui sont restés crispés sur l’idée qu’il faille absolument un service national dans ce pays, c’est une évidence qui m’est apparue peu à peu. Et lorsqu’il y a eu les derniers attentats de novembre, il s’est imposé à moi qu’il fallait faire quelque chose dans ce sens.

A propos des motivations des aspirants soldats

17’04

  • La conjoncture joue un rôle, il y a eu un gonflement des demandes d’engagement volontaire d’à peu près un tiers. Je pense qu’en deçà ou delà de ça il y a des facteurs plus structurels. J’ai écouté attentivement votre reportage, j’ai senti chez le jeune que vous interrogiez le besoin d’ordre, à titre personnel et individuel, dans une société qui est assez anomique. J’ai entendu aussi l’idée que, pour lui, le patriotisme c’est « aider la France », il dit cela avec une certaine prise de distance intéressante. Ce n’est pas un langage qu’on aurait entendu il y vingt, trente ans et certainement pas il y a cent ans. J’ai entendu aussi le besoin de formation professionnelle et le besoin d’accéder à un métier. Toutes choses, sans idéaliser le service national, que l’armée permet, permettait et doit permettre.
  • On n’aurait pas imaginé, il y a 18 ans, lorsqu’on supprimait le service national, qu’il y aurait un jour un problème de sécurité du territoire qui se poserait, d’une part à l’extérieur, mais ça nous avons une armée professionnelle pour le faire, d’autre part à l’intérieur avec une guerre dite « asymétrique », face à un ennemi difficile à saisir et extrêmement barbare, qui se développe sur un terreau que j’appelle la « désintégration ».
  • La « désintégration » c’est la non-intégration d’une bonne partie de la jeunesse et je dirais pas seulement pour des raisons de désespoir social. Il y a certainement une part de misère social dans le phénomène d’embrigadement sectaire et barbare qui est typique de l’engagement dans le djihad mais il y a des cas de figure qui ne répondent pas du tout à cela et ce ne sont pas d’ailleurs les banlieues qui sont nécessairement en première ligne sur cette question.
  • On a défait dans ce pays ce qui permettait l’intégration de la jeunesse, le service national faisait cette intégration même si elle était faite parfois à marche forcée et pas toujours de la meilleure façon, il ne faut pas non plus embellir les choses. Il y a aussi le rôle de l’école qui n’a pas toujours les directives nécessaires pour travailler à l’intégration des jeunes sur le plan civique.

A propos des contours que pourrait revêtir un nouveau service national

20’36

  • Le service national que je propose se distingue des dispositifs multiples et un peu complexes qui existent déjà. Il y a le service civique, sur la base du volontariat qui est une belle idée et dont le nombre de demandes est en augmentation. Dans l’Aisne, 256 postes de service civique ont été créés cette année, ce sont des jeunes qui s’engagent dans des actions de solidarité qui s’étendent parfois au sport ou à la culture. A ce jour dans l’Aisne, 1 000 jeunes ont été intégrés dans le service civique mais sur c’est sur la base du volontariat. Il y a aussi la réserve citoyenne instituée en 1999 qui permet aux citoyens de venir faire une préparation brève à l’armée pour manifester leur intérêt. Il y a aussi la réserve militaire pour les anciens militaires et les appelés et je ne compte pas le service militaire spécialement adapté en outre-mer.
  • Je ne me satisfais pas de ces systèmes, l’obligation est la question centrale, c’est ce qui fait l’originalité de ce que je propose. Un jeune doit apprendre qu’il doit quelque chose à la collectivité et cela ne peut se faire qu’à travers l’obligation, à travers un service national s’adressant à tous les jeunes quels que soient leur origine sociale ou leur sexe. Lorsque le service miliaire a été supprimé, les filles ne le faisaient pas sauf sur la base d’un volontariat. Ce que je propose est donc différent sur ce point.
  • Il y avait beaucoup d’exemptions, c’est vrai. J’en débattais récemment avec l’ancien ministre de la Défense Charles Millon. On dispensait parfois quasi systématiquement et on trouvait que tout cela coutait trop cher. Mais ce n’est pas parce qu’un système dysfonctionne qu’il faut mettre fin à ce système, si la sécurité sociale fonctionne mal, est-ce qu’il faut pour autant abolir la sécurité sociale ? Non.
  • Je ne veux pas exactement rétablir le service national comme il était, je préfère dire qu’il faut « réinstaurer » le service national. On a juridiquement suspendu ce service et on pourrait très bien voter une loi pour le rétablir mais l’idée est plutôt de partir de notre expérience et de faire ce dont nous avons vraiment besoin aujourd’hui.
  • Ce dont nous avons besoin c’est un apprentissage des armes qui serait un noyau court, peut être trois mois, les objecteurs de conscience iraient vers autre chose, et surtout un apprentissage pour tout ce qui relève de la protection civile, c’est à dire les secours et les pompiers. Dans l’ambiance générale qui est celle de la France aujourd’hui avec les attentas qui ont eu lieu et qui hélas se préparent, je dois dire que si l’on pouvait déployer des milliers ou des dizaines de milliers de gens formés aux premiers secours et à la sécurité immédiate des rues, ça serait d’une aide importante pour ne pas dire capitale.
  • Nous aurions donc un apprentissage du maniement des armes, sauf pour ceux qui s’y refusent, une formation à la protection civile au sens large du terme et un apprentissage du civisme pour tout le monde évidemment.
  • Il y a aujourd’hui un besoin d’ordre. Le fait même de s’engager est déjà un acte civique à partir duquel l’essentiel est fait. Mon idée c’est que l’on apprendrait les valeurs civiques en acte du fait que tout le monde est a égalité, qu’aucun ne vaut plus l’autre, que tout le monde doit obéir. Dans votre reportage, le militaire qui recevait l’aspirant disait « ça, ça s’appelle la hiérarchie », c’est un élément tout à fait majeur.
  • Un intervenant social de l’Aisne qui s’occupe de collèges dans une partie défavorisée de mon territoire me disait que lorsqu’ils recevaient des personnalités extérieures, mis à part injonction du maître, les élèves ne se lèvent pas spontanément sauf si la personne porte un uniforme.

A propos du rôle de l’école dans l’éducation civique

38’08

  • Pour ma part je n’accuse pas l’école de pêchés qu’elle n’a pas commis, l’école ne peut pas tout faire à la place des familles ou d’une société toute en entière qui est une société de violence ou de fric, pardonnez-moi l’expression, mais il n’y qu’à voir les spectacles proposés aux jeunes à la télévision. L’école ne peut pas restaurer une forme d’esprit civique qui « rajeunirait les jeunes » comme si on les avait mis dans un bain et qu’ils ressortaient complétement neufs.
  • En France l’école est une école où il y n’y a pas de racisme, pas une once de racisme, c’est une école de l’égalité. Il faut rendre hommage aux enseignants parce que leur tâche est vraiment difficile. Maintenant ils suivent des instructions qui ont été sinusoïdales depuis une trentaine d’années en ce qui concerne l’apprentissage du civisme, ce qu’on appelait autrefois l’instruction civique et ce que l’on a appelé « l’éduction civique » réinstaurée par Jean-Pierre Chevènement dans les années 1980 mais l’éducation civique est aujourd’hui soumise à des programmes pour partie abscons.
  • Il faut reconstituer un civisme en acte. Dans un monde idéal l’école permettrait aux jeunes de penser le civisme, à travers des programmes qui devraient être revus, et en même temps l’armée serait le civisme en acte cette fois. Le jeune aurait donc appris les valeurs républicaines à l’école et puis il les retransformerait par son passage dans l’armée. Naturellement il faut reconstituer un brassage social complet puisque c’était le grand défaut du service à l’ancienne.
  • J’entendais dans votre reportage un jeune qui parlait d’emploi, l’armée peut donner un emploi mais elle peut aussi former à des métiers comme elle sait le faire, c’était une grande école de formation professionnelle dans notre pays. Mais même pour les jeunes qui ont des emplois assurés, le jeune ingénieur ou le jeune sorti d’une grande école, il y a la même nécessité d’apprentissage du civisme en actes. Je parlais de désintégration mais je ne parlais pas spécifiquement ce qu’on appelle les banlieues ou les quartiers sensibles, l’égoïsme et l’a-civisme frappent aussi les classes le plus favorisées de la population.

A propos du coût d’un nouveau service national

42’10

  • La question de l’armée professionnelle est réglée, comme toutes les démocraties développées nous avons une armée professionnelle, nous en avons besoin pour les OPEX au Mali et ailleurs. Cette armée coûte très cher même si le budget militaire dans le PIB a baissé de moitié depuis 1988. De nouveaux moyens ont été donnés par le Président de la République et on va revoir la Loi de Programmation Militaire.
  • Le service militaire coutait cher aussi mais la sécurité nationale n’a pas de prix. Nous allons faire un groupe de travail à l’Assemblée nationale pour déboucher sur une loi de programmation. La réinstitution couterait au moins 4 Mds d’euros, mais je vous fais remarquer que dans le même temps vous ne payez pas des contrats d’avenir, des aides à des jeunes en déshérence qui sont sans emploi, et plus vous créez des jeunes prêts à défendre le territoire, plus vous avez de militaires libérés pour effectuer d’autres tâches ailleurs dans le cadre de l’opération Sentinelle ou pour les contrôles aux frontières. C’est un ensemble d’effets induits qu’il faut regarder et j’espère que nous allons imposer l’idée que ces effets doivent être étudiés. Il faut regarder le coût réel tout confondu.
  • L’équipement et la logistique couteraient plus cher que l’accueil dans les bâtiments je crois mais les internats de lycée seraient peut-être le moyen d’héberger une partie de ces 600 000 jeunes pendant l’été pour un début d’apprentissage.

A propos du service civique comme alternative au service national obligatoire

45’40

  • A la question du service nationale obligatoire, le Président de la République me répond indirectement « service civique ». C’est très bien que l’on s’appuie sur la bonne volonté des jeunes, je suis heureuse de voir qu’il y a beaucoup de jeunes qui souhaitent le faire mais l’obligation est d’une autre nature.
  • L’obligatoire nous renvoie à notre histoire, nous avons beaucoup redouté dans l’histoire de notre République les coups d’Etat militaires. On a inscrit dans le bronze de notre Constitution la prédominance du civil sur le militaire et tout cela résulte d’une histoire dans laquelle le peuple en armes est seul légitime à défendre la patrie. On ne peut pas laisser à des professionnels le monopole des armes parce que c’est contraire à la tradition de la Révolution française, le peuple en armes n’est pas un peuple agressif, c’est un peuple qui se porte volontaire aux frontières pour défendre la République. L’armée de volontaires est à l’origine du service obligatoire, c’était un très grand mouvement national.

A propos du rapport entre les jeunes et le service national

47’00

  • Je ne suis pas nostalgique et je crois qu’on ne répond pas à la jeunesse par la fausse modernité. Les sondages le montrent : près de 69% des jeunes étaient favorables après les attentats de janvier à l’idée d’un service national obligatoire. Attention aux idées pseudo modernes, c’est comme cela que l’on nuit le plus à la jeunesse.

A propos de l’idée d’instaurer un service régional obligatoire

47’30

  • Le service national ne peut pas être régional, il peut être territorialisé mais c’est à l’Etat de le faire par ce que c’est le service de la nation toute entière. Les responsables politiques qui ont proposé cela ne sont pas responsables.