[Tribune| Réforme des institutions : La tribune de Marie-Françoise Bechtel
« Rendons au président de la République la maîtrise d’un temps plus long que celui du mandat parlementaire »
Dans une tribune au Monde, Marie-Françoise Bechtel, présidente de République Moderne et ancienne députée, estime nécessaire de réviser nos institutions démocratiques afin de restaurer l’alliance d’une vision à long terme de l’intérêt général et la consistance du débat national.
En un temps où fleurissent les idées ou projets de réformes institutionnelles censés répondre aux aspirations des Français, la première urgence ne serait-elle pas de s’interroger sérieusement sur ces dernières ? Ne pas le faire risquerait d’engager notre futur dans une mauvaise voie. Or il est préoccupant de constater à quel point l’adhésion à la thèse quelque peu simpliste des « passions tristes » semble aujourd’hui servir de fondement à maintes propositions – une participation citoyenne en parallèle à l’exercice de la souveraineté populaire, la réduction du nombre des parlementaires assortie d’une élection à la proportionnelle, l’instauration d’une Cour suprême – tous remèdes supposés répondre à un désamour des Français pour le politique.
Et si le présupposé fondant de telles idées de réforme reposait sur un malentendu ? La chose politique certes déçoit les Français. Mais quelle en est la véritable cause ? Si nombre de nos compatriotes ne mettent plus leur foi dans les partis, méprisent de plus en plus leurs élus nationaux, boudent les urnes y compris pour les élections à fort enjeu national, est-on bien certain que ce n’est pas le défaut même du débat politique qui les engage dans cette voie au lieu d’en être la résultante ? C’est la thèse qui ressort du dernier ouvrage de Stéphane Rozès (Chaos. Essai sur les imaginaires des peuples, entretiens avec Arnaud Benedetti, Cerf, 2022), analyste particulièrement fin de ce qui fait l’« imaginaire » des Français, ce substrat non dit des opinions explicites.
N’est-ce pas en effet l’atteinte à l’imaginaire national qui crée le désaveu de la politique ? Selon Rozès, ses représentations sont constituées d’une recherche de verticalité capable de nous sortir de la « dispute ». Les institutions de la Ve République avaient, cela explique leur succès, compris et tenté de résoudre cette contradiction apparente entre la recherche d’une adhésion au projet commun et le goût du débat querelleur.
Est-ce hasard si les présidents de la République que les Français, avec le recul du temps, regardent comme les plus grands, le Général de Gaulle et François Mitterrand, se trouvaient être l’un porteur de la verticalité de l’Etat nation, l’autre conscient que le Français « ce Gaulois, ce Celte querelleur » demandait que soit traduit son goût de la dispute permanente jusque dans une cohabitation qui après tout civilisait cette dernière ? Cela sans empêcher le nécessaire surplomb de la fonction présidentielle.
C’est en rupture de cet équilibre qu’a surgi le quinquennat en 2002 dont on voit aujourd’hui le résultat, avec la disparition de la conciliation jusqu’alors assurée entre la nécessité de la « dispute » et son dépassement vers le projet commun. Faut-il alors s’étonner que les Français, depuis lors privés des bases de leur imaginaire collectif, se détournent de plus en plus de « la » politique – qu’on ne saurait confondre avec « le » politique, cette passion nationale qui ne trouve plus de débouché ?
Dégraissage du corps des lois
Que tirer de ce qui précède ? Avec la modestie requise lorsqu’on avance une hypothèse, osons dire qu’il faut au moins éviter de privilégier d’apparentes nouveautés trouvant leur source dans un grappillage de l’opinion. C’est au contraire sur ce qui fait l’identité de notre conscience collective, qui ne peut justement être confondue avec l’opinion, qu’il faudrait se fonder, faute de quoi l’on s’égarera dans des voies de traverse.
Aujourd’hui les Français n’ont-ils pas d’abord besoin de voir se reconstituer l’alliance d’une vision à long terme de l’intérêt général et la consistance du débat national ? Non, la France n’a pas trop de parlementaires ; en revanche, elle a trop de lois. Non, le débat citoyen, en réalité celui de la société civile, ne peut rivaliser avec la densité de la représentation nationale – dans le pays qui a inventé la République, la « convention nationale », la souveraineté de la loi et la recherche de l’intérêt général.
Il faut au fond, si l’on suit l’hypothèse qui prévaut ici, rendre au président la maîtrise d’un temps plus long que celui du mandat parlementaire et en décalage temporel avec ce dernier. Mais il n’est pas moins nécessaire de rendre au Parlement sa dignité (et son attractivité) avec des moyens accrus : plus de collaborateurs pour chaque député, un lien reconstitué avec les électeurs – avec un cumul raisonnable mais aussi des sessions plus courtes, un meilleur système interne de sanctions pouvant aller jusqu’à la déchéance du mandat (aujourd’hui permise dans un seul cas) qui est le vrai moyen de respecter la séparation des pouvoirs, enfin une instance chargée de préparer le dégraissage du corps des lois qui nous régissent et que nul ou à peu près ne maîtrise aujourd’hui.
La « dispute » qui commence sur le zinc
Si réforme du Conseil constitutionnel il doit y avoir, ce devrait être pour rééquilibrer son lien avec la loi souveraine : moins de censures arbitraires qui pétrifient d’avance le législateur, une meilleure capacité à prendre en compte le lien entre l’identité constitutionnelle de la France et sa relation avec le droit européen, à l’instar du Tribunal constitutionnel allemand qui veille à cet équilibre. Pourquoi pas une extension du référendum, mais sur les questions d’intérêt général et non chicanières.
Enfin une institution à renforcer serait celle… du gouvernement. C’est en effet lui qui doit être en prise directe avec la « dispute » qui commence sur le zinc, se poursuit sur les réseaux sociaux, ce réservoir des attentes non remplies, avant de rejoindre l’enceinte du Palais-Bourbon.
En somme, c’est en rendant vie au débat démocratique, forme historique de la « dispute », et en permettant simultanément à l’imaginaire national de se projeter dans le futur que des institutions rénovées caleraient à nouveau « la » politique comme pratique sur « le » politique comme aspiration.