[Tribune] « Pour être républicain, comme en amour, il n’y a que des preuves de république » MF-Bechtel
Si retrouver le vrai sens des mots est la condition pour mener un combat conséquent, alors la première urgence est de dégraisser la République du fatras compassionnel qui, à l’instar de la citoyenneté, l’accable aujourd’hui. Et seule l’action réelle, hors des propos enflammés, peut répondre à cet exercice. C’est la réponse de Marie-Françoise Bechtel, présidente de République Moderne, club politique fondé en 1983 par Jean-Pierre Chevènement, à la question lancée par « Marianne » : « Au fait, ça veut dire quoi être républicain ? ».
Il fut un temps où se proclamer républicain était inconvenant ou pire… De l’ardeur qui fit la perte de Robespierre et de Saint-Just, au tumulte à la Chambre lors du vote qui conduisit à l’amendement Wallon, la République, « une forme qui emporte le fond » disait Gambetta, fut un combat aux manifestations diverses : combat de régime, mais aussi combat de fond dont la loi de 1905 est l’exemple le plus frappant. Toute la question est de savoir si aujourd’hui ce combat doit et peut reprendre.
ÊTRE RÉPUBLICAIN EN 2022
Doit-il reprendre ? Oui, certainement. Les calmes inscriptions au frontispice de nos mairies ou de nos écoles, l’affirmation constitutionnelle claire et sans appel, l’invocation rituelle de la rhétorique politique (« Vive la République ! Vive la France ! »), marquent sans doute l’inscription d’un consensus national. Mais que révèle vraiment ce consensus sur un mot ? Lorsque, dans les années quatre-vingt, Jean-Pierre Chevènement, puis, dans les années quatre-vingt-dix, Philippe Seguin ont reproclamé en quelque sorte la nécessité républicaine, cette tentative avait pour sens que la chose publique risquait le naufrage puisque ni l’intérêt général ni la citoyenneté ne pouvaient s’exercer dans un cadre national, conforme à notre histoire. Ils étaient bien isolés. Aujourd’hui au contraire, qui ne se proclame républicain ?
Que s’est-il donc passé ? Force est de le constater : aujourd’hui la république, comme concept clair et vivant porteur de combats, car jamais achevée, ne court-elle pas le risque de dépérir sous les étouffantes adhésions qui l’enserrent telles les bandelettes d’une momie ? Non pas mourir sans doute, mais s’affadir jusqu’à se dénaturer certainement. Et peut-elle se relever de cette banalisation sans portée mais non sans danger ?
DÉGRAISSER LA RÉPUBLIQUE DU FATRAS COMPASSIONNEL
On peut étouffer sous les soins diligents de médecins de Molière. Si retrouver le vrai sens des mots est la condition pour mener un combat conséquent, alors la première urgence est de dégraisser la République du fatras compassionnel qui, à l’instar de la citoyenneté, l’accable aujourd’hui : tout le monde est républicain, toute action est « citoyenne ».
Tant d’amour confinant parfois à la passion subjugue et emporte : tous républicains ! Il n’est pas jusqu’à un parti qui ne se soit approprié sans vergogne la République comme une marque déposée : diable ! Si tout le monde est républicain sous l’effet d’une affirmation sans preuve (LR) d’une adhésion extatique (RN) ou d’une dénégation de type freudien (LFI), sans parler de la référence creuse (PS) ou du quasi-hold-up des partis écologistes : comment sortir de la banalisation mortifère ?
LES FONDAMENTAUX
En revenant d’abord aux fondamentaux. Sans doute est-ce là le premier test, fondé sur l’esprit critique qui, de notre République, fait la chose (« res ») des Lumières, comme l’a si bien montré le professeur Nicolet pour qui la nation française a reçu de celles-ci sa forme philosophique. C’est ce qui fit, comment l’oublier, que la République française eut un retentissement universel. La République est une invention de tous les jours, comme l’est la Nation pour Renan, car les deux pactes sont en fait étroitement liés.
Selon la belle formule de Didier Motchane : si la nation n’est pas née avec la République, c’est la République qui a réinventé la nation. Sans doute est-ce pour cela que ceux qui n’aiment pas la nation ne rendent à la République que l’hommage du vice à la vertu. Pour cela aussi, à l’inverse, que ceux qui prétendent aimer avant tout la nation se réfèrent à une République qu’ils ont vidée de son sens historique, conçue comme la barrière d’une « civilisation » mal comprise, d’une citoyenneté faite de repli sur soi et d’une conception de l’intérêt général pour le moins soluble dans les invocations sans preuve. Il est certes difficile de donner des preuves d’une action véritablement républicaine, parce que la République, instituée ou relevée, est une rupture historique : Jean Bodin, c’était de la théorie, là on passe à la vie – à quelque chose qu’il faut faire vivre. Le général de Gaulle lui-même, si souvent invoqué, s’est heurté au fait qu’il est plus facile de reconstruire la République sur les fissures de la nation que de la faire vivre ensuite.
IL N’Y A QUE DES PREUVES DE RÉPUBLIQUE
Et tout le paradoxe est là : car la république, si l’on veut donner toute sa portée à la formule de Gambetta, est un contenant en même temps qu’un contenu. Pas de République donc sans une approche conceptuelle. Mais pas de république non plus sans contenu vivant : comme en amour, il n’y a que des preuves de république.
C’est donc à la portée opérationnelle du concept qu’il faut en revenir. Faire vivre la citoyenneté, c’est apprendre celle-ci à l’école sous la forme d’une éducation civique qui fasse avant tout sa pleine place à l’histoire et ses combats. Rendre sa force au ciment national c’est instituer un service national obligatoire et universel, favorisant les rencontres et le sens de l’intérêt commun en acte (protection civile, défense, travaux d’intérêt public) qui vaut mieux que dix lois proclamatoires sans moyens à la clé.
Et oui, il est possible de donner vie au concept d’intérêt général : la planification industrielle et la transition énergétique, l’élan vers la reconquête d’une position forte dans la recherche, la définition d’un système hospitalier qui doit retrouver toutes ses capacités, l’élévation du niveau éducatif de la nation, une politique extérieure indépendante et assurant notre souveraineté dans la coopération avec d’autres nations européennes, voilà des objectifs qui sont bien d’intérêt commun entre classes et entre générations. Le ciment républicain dépend de ces preuves d’amour plus que des déclarations plus ou moins enflammées. D’autant que la République, celle de Jaurès, porte en elle une exigence sociale, résultat de la contradiction entre libertés formelles et libertés réelles qui reste le marqueur de l’adhésion du peuple tout entier, mais qui ne peut être mise en œuvre que si l’intérêt général en reste le pilote : la politique de soutien à la démographie en est un exemple. Nul ne détient le brevet de républicain par légitimité autoproclamée. Seule l’action réelle, hors des propos enflammés, peut répondre à cet exercice exigeant, toujours vivant car toujours renouvelé.