[Billet] « Panne de civisme à gauche » Par M-F Bechtel
Par Marie-Françoise Bechtel, ancienne Députée et Vice-présidente de République Moderne.
Que la gauche ait égaré sa boussole républicaine quelque part entre Bruxelles et Washington est un constat qui ne date pas d’aujourd’hui. Tantôt s’interrogeant gravement (la République oui mais laquelle ? se demande Patrick le Hyaric dans sa lettre mensuelle), tantôt s’en tenant à des invocations sans cohérence avec ses choix réels tel Jean-Luc Mélenchon, sans parler de la référence obligée du PS à Jaurès, hommage que le vice rend à la vertu, elle ne semble dans aucune de ses composantes revenue sur cet abandon historique.
Un exemple ? Prenons l’éducation. Je lis (Le Monde daté du 5 janvier 2021) que les nouveaux cursus définis par le ministre de l’Education nationale pour renforcer les savoirs fondamentaux dans la formation des professeurs des écoles se heurtent aux objections syndicales. Tiens ? On aurait pu penser que les critiques pour partie incontestables de notre système scolaire et de ses performances justifiaient le retour à une formation disciplinaire solide, notamment là où les masters laissent des trous béants puisqu’ils sont par définition limités à une ou deux matières. Eh bien non, cet enjeu mineur de l’égalité des chances par des savoirs acquis auprès de maîtres qui seraient formés à toutes les disciplines de base cède devant ce constat terrible : ne risque-t-on pas, dit le SNUipp, un « retour aux anciennes écoles normales » avec, horribile dictu, « le sacrifice de l’apprentissage de la didactique » ? La didactique, vous savez bien, cet ensemble de méthodes pour apprendre à apprendre, fondée sur l’ « éveil » d’une conscience enfantine au détriment des méprisables règles de grammaire ou de calcul, celles- là même dont l’absence de maîtrise crée les inégalités futures. Le SGEN n’est pas en reste, avançant de son côté le risque d’une « uniformisation de la formation ». C’est vrai qu’il est plus joyeux de se rouler dans la diversité des exercices didactiques, tels que les pratiquaient les IUFM devenus ESPE, deux sortes d’entre-soi pédagogistes dont peuvent se targuer les deux ministres socialistes qui les ont inventés. Pendant ce temps, les inégalités se creusaient, notamment dans le primaire et les étudiants de master, tenus par la spécialité choisie, ne trouvaient nulle part cet éventail complet de formation dans les matières fondamentales qui devrait être le trésor de l’apprentissage émancipateur.
Ainsi vingt à trente années d’erreurs de pilotage de la formation des maîtres n’ont rien appris aux défenseurs supposés progressistes de la cause enseignante. Nous verrons ce que pensent les enseignants dans leur ensemble. Il reste à espérer que ces vieilles lunes ne les troubleront pas trop.
Jamais pourtant une idée claire de l’exigence républicaine n’a été plus nécessaire et plus urgente : l’éducation, en charge de sa composante civique, va-t-elle baisser les bras ?