[Tribune] Comment s’en sortir par le haut ? Par M-F Bechtel
Comment s’en sortir par le haut ?
FIGAROVOX/TRIBUNE – Seul un changement de paradigme politique permettra le redressement de la France, argumente l’ancienne directrice de l’ENA Marie-Françoise Bechtel. La planification stratégique, la protection et le développement de nos services publics et la renégociation des traités européens sont plus que jamais des politiques d’avenir selon elle.
Une crise grave secoue notre pays. Crise ou guerre, l’heure n’est pas à la chicane. Elle n’est pas non plus à la déploration, mais à l’action. Car la tâche qui consiste à relever le pays est immense. D’autant plus immense qu’elle ne demandera pas seulement un changement de politiques mais une révision, plus difficile encore, du schéma conceptuel de décideurs publics biberonnés de longue date aux choix budgétaires à courte vue. Les mesures énergiques qui à l’évidence seront nécessaires risquent de se heurter à un «non possumus» qui a fait la preuve dans le passé de sa redoutable efficacité pour effacer des écrans radar l’avenir de la France et de son peuple.
La France doit exiger une renégociation européenne des règles budgétaires et de la concurrence libre et non faussée.
Pour mesurer les chances de «reprendre le contrôle», tirant les leçons des graves errements du passé, il faudrait au fond se poser trois questions préalables.
Déjà, avons-nous les moyens politiques de reconstituer à nous seuls une économie répondant aux intérêts nationaux, incluant les relocalisations nécessaires et la mise en cause du marché unique? Réponse: non. Avons-nous les moyens de peser sur ceux qui en décident? Réponse: oui. Il faut une renégociation européenne exigée par la France, État majeur de l’Union européenne, portant sur les règles budgétaires (les 3%), la concurrence libre et non faussée et le dumping social et fiscal qui tue nos services publics et stérilise l’aménagement de notre territoire (le second en taille dans l’UE).
Nous ne devons pas en rester aux présupposés actuels et au désarroi engendré par l’effondrement du PIB.
Ensuite, avons-nous ou pouvons-nous trouver les moyens financiers indispensables pour des politiques ambitieuses? Non, si nous en restons aux présupposés actuels et au désarroi engendré par l’effondrement du PIB ; oui si nous savons dégager les ressources nécessaires à court et moyen terme. Ces ressources incluent les effets induits de mesures de redressement permettant de limiter le coût du chômage ou de l’échec scolaire, de la délinquance mais aussi la reconversion des gaspillages (tels les fonds de la formation professionnelle, 30 milliards d’euros très mal dépensés) ou la mobilisation des réserves d’agents, sanitaire mais aussi éducative et fiscale (des bataillons de jeunes retraités des finances publiques mobilisés contre l’évasion fiscale). Elles devront être complétées non seulement par une taxation des mouvements de capitaux si les financements privés n’étaient pas au rendez-vous mais aussi par un appel à l’épargne privée qui est considérable en France (15 % du revenu national) qu’il faut tourner vers les emprunts d’État à l’exemple du Japon qui neutralise ainsi sa dette publique colossale.
Enfin la question la plus redoutable: avons-nous les moyens moraux de vouloir et mettre en œuvre des politiques rompant avec le passé ?
La démocratie meurt de l’absence de débat non pas à la base mais au sommet.
Nichés dans les creux, plis et replis de l’appareil d’État, les tenants des politiques à courte vue budgétaire, décidés à mettre au pas une France réticente, et dont le rejet des besoins de la nation n’a d’égal que la docilité aux injonctions européennes, ne lâcheront pas sur leurs positions. D’autant qu’à l’échelon de la décision proprement politique les effets ravageurs de la pensée ordo-libérale sont tout aussi présents. C’est une préoccupation majeure pour la démocratie: celle-ci meurt de l’absence de débat non pas à la base mais au sommet.
Il n’y a pas d’illusion à se faire – et l’auteur de ces lignes ne s’en fait pas – sur la résilience des schémas de pensée dominants. Ce qui est sûr est que des politiques nouvelles, aptes à répondre aux besoins à long terme de la nation, ne pourront se développer sans une prise de contrôle sur les mentalités elles-mêmes.
D’autant qu’on trouverait un large accord dans le pays sur ces choix nouveaux, menés par un État énergique, mobile et réactif, débarrassé de pesanteurs bureaucratiques et relégitimé dans son rôle de pilote. Car aujourd’hui tout le monde ou à peu près est d’accord sur la nécessité de relocaliser et moderniser nos industries stratégiques, sur les besoins d’une éducation et d’une recherche estimés et financés sur le long terme, sur la protection et le développement de nos services publics, sur la revalorisation des salaires et la résorption drastique du chômage par l’emploi et la formation. Autres objectifs sans doute moins consensuels: une refonte énergique des politiques d’intégration fondées sur un retour du civisme avec un service national obligatoire et universel, une vraie mixité scolaire et sociale, une action d’encadrement des loyers qui demandera une révision constitutionnelle ponctuelle, la nationalisation de certaines activités stratégiques lorsque cette voie apparaît nécessaire, une politique de l’énergie incluant un développement du nucléaire, qui fournit une énergie propre et à bas coût.
Aurons-nous demain un État relégitimé et capable de mener des politiques sauvant notre avenir ?
Aurons-nous demain l’État relégitimé, capable de mener des politiques sauvant notre avenir? Verrons-nous au XXIe siècle la fin des préjugés, aussi lourdement enracinés que ceux de la doxa combattue autrefois par nos plus grands philosophes, qui bloquent toute velléité d’action patriotique – aussitôt baptisée «nationaliste» – toute solution passant par un État protecteur de tous – aussitôt baptisée «populiste» – et, péché suprême, toute interrogation sur la pertinence de l’échelon européen comme si vouloir une autre Europe était un péché contre la paix ?
C’est d’ailleurs sans ressentiment ni rancœur qu’il faudra s’engager dans cette tâche: juste avec le sentiment que la France est capable d’en sortir par le haut. Non pas si elle le peut. Mais si elle le veut.
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Source : https://www.lefigaro.fr/vox/politique/marie-francoise-bechtel-comment-s-en-sortir-par-le-haut-20200421