« Il nous faudra ramener l’électorat du FN à la République »
Entretien de Jean-Pierre Chevènement accordé au JDD, dimanche 30 août 2015. Propos recueillis par Dominique de Montvalon.
Ex-ministre de la Défense puis de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement a joué un rôle décisif auprès de François Mitterrand dans la création du PS en 1971 au congrès d’Épinay. Aujourd’hui, à 76 ans, il n’est plus membre d’aucun parti. Pour avoir, dit-il, les mains totalement libres.
L’Europe apparaît impuissante devant l’afflux massif de migrants. Un afflux qu’elle n’a pas su prévoir…
Et pourtant rien n’était plus prévisible! Il suffit de connaître les écarts en matière de richesses et surtout de démographie. Encore n’eût-il pas fallu créer le désordre dans la plupart des pays sources. Je m’explique : de quel pays viennent principalement ces migrants? Dans l’ordre : d’Irak, de Syrie, d’Afghanistan. Trois pays où des interventions occidentales inconsidérées ont jeté bas des États qui maintenaient un ordre peut-être contestable, en tout cas un ordre. Exemple le plus impressionnant : l’Irak. Aujourd’hui, plus d’État, ni d’armée et de police dignes de ce nom. A la place : des démembrements confessionnels affrontés l’un à l’autre. L’Irak occidental peuplé de sunnites a été, en 2005-2006, jeté dans les bras d’Al-Qaida et aujourd’hui dans ceux de Daech. Ce n’est pas tout : j’observe aussi qu’il y a beaucoup de demandes d’asile venant du Kosovo, de Serbie, d’Albanie. Au Kosovo, l’intervention de l’Otan a eu pour résultat de faire surgir un État semi-maffieux.
Vous ne citez pas la Libye…
J’y venais. La Libye faisait office de filtre pour les migrants venus de l’Afrique subsaharienne. L’intervention en Libye n’a donc pas été heureuse : elle a fait de ce pays un espace dominé par des milices tribales. Tout le Sahel a été déstabilisé par l’afflux d’armes libyennes et de milices khadafistes.
Quelles leçons en tirez-vous?
D’abord, que l’Occident serait bien inspiré d’observer le principe de non-ingérence, qui figure d’ailleurs dans la charte de l’ONU. L’utilisation de la force peut être justifiée – c’était le cas pour l’opération Serval au Mali, – mais sous strict contrôle de l’ONU. Seconde leçon : il faut distinguer en matière d’immigration les demandeurs d’asile – qui ont droit au statut de « combattants de la liberté » – et l’immigration économique qui peut d’ailleurs être, elle aussi, dans certains cas, justifiée. Voyez le nombre de professions dont les Français ne veulent pas et qui sont exercées par des immigrés! Cela étant, tout pays est libre d’accorder ou de refuser à des étrangers le droit de s’installer sur son territoire. À l’avenir, le codéveloppement avec les pays sources est la seule solution au problème de l’immigration.
Lire la suite sur Le JDD